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disputaient le gouvernement de la république. Les noirs, c’était l’aristocratie ; les blancs, c’était le parti populaire. Figurez-vous Dante enchaîné, comme les Florentins de son temps, dans les mesquines préoccupations d’une lutte qui n’intéresse que la cité ; il restera à Florence, il sera le soldat d’un drapeau, il deviendra le chef d’une faction, et vainqueur ou vaincu, il aura derrière lui toute une armée ; ce sera un Corso Donati ou un Farinata. Mais non, au-delà de Florence, il a vu l’Italie. À peine inscrit sur la liste des citoyens actifs, sa science et son génie, plus encore que le rang de sa famille, l’ont désigné pour les fonctions les plus hautes. Il a trente ans, et déjà on le charge d’ambassades importantes ; il est envoyé à Sienne, à Venise, à Padoue, à Rome enfin, auprès du pape Boniface VIII. Ces missions l’initient aux affaires italiennes ; il voit de près les intrigues des grands, la servilité des petits, et tout dévoué qu’il est à Florence, le spectacle de tant de misères touche bien autrement son grand cœur. De la politique particulière de sa ville, Dante, une fois mêlé aux choses publiques, devait s’élever d’un vol d’aigle à la conception d’une politique générale. Comment rétablir l’ordre à Florence, si un ordre supérieur ne règne pas de la Sicile aux Alpes ?

Il y a donc, selon Alighieri, un ordre supérieur, universel, institué par Dieu même, un ordre qu’il faut réaliser ici-bas, afin que l’humanité puisse accomplir sa mission. Quel est cet ordre ? A quelle époque le poète en a-t-il conçu l’idée ? En deux mots, voilà le problème. Si nous trouvons une réponse exacte à ces questions, nous aurons substitué le Dante réel, vivant, à cette figure indécise que se disputent les commentateurs.

C’est seulement dans la dernière année du XIIIe siècle que Dante a commencé de prendre part à l’administration de Florence. Il avait alors trente-cinq ans. De 1290 à 1300, Dante s’associe peu à peu aux intérêts publics ; il se fait inscrire comme citoyen, il est envoyé en mission auprès de plusieurs cours italiennes, il devient de jour en jour un homme considérable. L’an 1300, il est nommé prieur, c’est-à-dire un des six magistrats suprêmes qui gouvernaient la ré publique. Ces dix années ont été soigneusement étudiées par les érudits de France et d’Italie. Les travaux littéraires du poète, sa publication de la Vita nuova, ses ambassades, son voyage à Paris, tout cela a été exploré en détail et raconté avec précision, mais sans qu’on y ait rien vu de particulier pour le développement de sa pensée. Aux yeux de M. Witte et de M. Wegele, c’est la période décisive de sa vie. Deux événemens s’y produisent dans l’âme du poète, une transformation religieuse et une transformation politique. La Vita nuova nous révèle l’une, l’autre est manifeste dans le De Monarchia.

La Vie nouvelle a été composée avant 1292, selon M. Fauriel, en