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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/508

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théorie et l’a développée avec une lumineuse évidence. Il a suivi pas à pas le guide de Dante à travers l’Enfer et le Purgatoire ; il a noté ses paroles, ses gestes, sa physionomie, et chaque incident lui a fourni une preuve nouvelle. Citons un seul exemple : Virgile et Dante viennent d’entrer dans le cercle des simoniaques, et le guide conduit son compagnon tout droit au bord du trou hideux où se lamente le pape Nicolas III. Lorsque Dante a écouté ses cris, il prend la parole à son tour : « Je ne sais, dit-il, si je fus trop emporté, mais je lui répondis en ces termes… » Et ici commence la terrible invective contre la corruption de l’église, invective qui enchante Virgile, car un sourire de joie s’épanouit sur ses lèvres, et Dante ajoute aussitôt : « Je crois que je dus plaire à mon guide (credo ben ch’ al mio duca piacesse). » Comparez maintenant cette scène à une autre scène non moins grande, l’entrée des deux pèlerins dans le cercle des hérétiques. Des milliers de damnés sont couchés dans des tombeaux infects au milieu d’une puanteur insupportable voici le terrible Farinata, voici Cavalcante de’ Cavalcanti, voici l’empereur Frédéric II et le cardinal Ubertini. La conversation s’engage ; Dante et Farinata sont aux prises, et les paroles se croisent comme des épées. Où est Virgile pour soutenir son compagnon ? Virgile n’est plus là ; indifférent à la punition des hérétiques, il a continué sa route. Un tel contraste a un sens ; pourquoi, d’un côté, cette approbation des invectives de Dante ? de l’autre, pourquoi cette parfaite indifférence ? C’est que les simoniaques sont les ennemis de l’empereur, tandis que les hérétiques troublent l’ordre spirituel. Virgile rend parti quand il s’agit de l’empire ; il n’a pas le droit de s’intéresser aux destinées de l’église. Virgile est donc le théoricien de l’empire, le représentant de l’ordre établi sur la terre par les décrets divins.

Voyez quelle symétrie dans la contexture du poème ! Si le chantre d’Enée est le représentant de l’ordre providentiel ici-bas, il y a pour Dante un autre guide qui lui révélera l’ordre céleste. Partout, dans la Divine Comédie, vous retrouvez ce grand dualisme qui embrasse l’univers. Les deux cités dont parle saint Augustin sont sans cesse présentes à la pensée de l’auteur ; la cité de Dieu éclaire la cité de l’homme, et Béatrice explique Virgile. Nous rencontrons ici les belles recherches de M. Ozanam et du roi, de Saxe, Jean Ier. De tous les interprètes de Dante, M. Ozanam et le roi régnant de Saxe sont certainement ceux qui ont répandu la plus vive lumière sur le personnage de Béatrice. On sait qu’en étudiant Alighieri avec une piété si tendre, M. Ozanam n’a pas prétendu mesurer tout entière l’inspiration du poète. Qui ne reculerait devant une pareille tâche ? Théologien, philosophe, moraliste, historien, politique, et avec tout cela artiste incomparable, Dante est pour un esprit qui pense un sujet de méditations sans fin ; chacun peut choisir dans son poème un cercle