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Or, si vous y regardez de près, vous verrez bientôt que tous les personnages de la Divine Comédie ont été choisis et distribués de manière à représenter trois choses distinctes, quoique intimement unies, — tantôt la théorie générale du poète, sa conception de la société universelle, son système de l’empire et de l’église, — tantôt la morale proprement dite, abstraction faite de l’ordre politique et religieux, — tantôt enfin l’histoire contemporaine, c’est-à-dire les affaires d’Italie, les destinées de Florence. Dans l’Enfer, les sentences sont prononcées au nom de l’ordre universel et des affaires d’Italie ; les personnages pris dans l’histoire moderne représentent surtout ces deux choses. Ce sont les hérétiques comme Farinata, Cavalcante, Frédéric II, et ce cardinal Ubaldini, qui ne croyait pas à l’existence de l’âme ; ce sont les violens, l’orgueilleux et implacable Argenti, Vanni Fucci, qui violait les églises, le comte de Montefeltro, qui fut l’instrument des colères de Boniface VIII ; ce sont les faussaires comme l’alchimiste Capocchio et maître Adam, le faux monnoyeur ; ce sont les traîtres Cancellieri, Marcheroni, Camiccione de’ Pazzi, Bocca, Becchiera, Ugolin, Tebadello et Branca d’Oria. Si le poète emprunte des types aux fables païennes ou à l’histoire antique, ces types représenteront exclusivement la violation de l’ordre universel. C’est ainsi que le géant Capanée symbolise pour les temps primitifs la révolte de l’homme contre le ciel ; c’est ainsi que Sextus Pompée est jeté dans l’enfer pour avoir combattu César ; enfin c’est ainsi que Brutus et Cassius, traîtres envers l’empire et meurtriers de César, sont associés dans la gueule même de Satan à l’homme qui a trahi Jésus. La théorie de la double cité est si bien établie chez Dante, qu’il l’enferme en quelque sorte l’histoire entière du genre humain. Ce dessein de l’auteur n’éclate-t-il pas d’une façon bien originale, lorsqu’il fait de Mahomet non pas le fondateur d’une religion, mais un sectaire issu du christianisme ? Hors de l’église catholique et hors du saint-empire, à ses yeux, il n’existe rien. Il s’occupe aussi des fautes contre la morale ; mais quoi qu’en dise M. Wegele, ces fautes, qui ne troublent ni l’empire ni l’église, ne jouent qu’un rôle secondaire dans la Divine Comédie. Ces damnés, moins coupables que les autres, occupent les premiers cercles, Dante leur parle avec attendrissement, il est ému de leur infortune ; il tombe comme un corps mort au récit de Francesca, et Virgile lui-même lui apprend quelle distance énorme les sépare de ceux qui ont attenté à l’ordre providentiel du monde.

Dans le Purgatoire au contraire, et c’est là un des traits caractéristiques de ce jugement dernier, il n’y a point de pécheurs, un seul excepté, qui aient violé l’ordre politique ou religieux ; ces fautes-là sont trop graves aux yeux d’Aligbieri pour que celui qui les a commises puisse en purifier son âme. Le pécheur politique à qui Dante