Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/571

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
567
les vases chinois et les vases grecs.

bras le corps de Memnon. L’apothéose d’Hercule, l’enlèvement de Ganymède, étaient des allégories plus consolantes encore ; les honneurs funèbres autour du tombeau, Électre et Oreste rendant à Agamemnon de pieux devoirs, rappelaient que l’on vivait toujours dans le cœur de ceux que l’on avait aimés. Enfin l’art ingénieux des Grecs donnait aux thèmes les plus généraux une application particulière. Les fables couvraient la réalité, l’humanité se reconnaissait à travers un monde fantastique, et la puissance de l’intérêt personnel prêtait aux sujets esquissés sur les vases la vie, l’éloquence, l’illusion.

Les Grecs étaient ce que les Chinois n’ont jamais été : des penseurs et des peintres. Ils étaient en outre des sculpteurs, tandis que les Chinois semblent avoir pour génie l’horreur de la forme. Est-il besoin de montrer combien l’art céramique se rattache à la sculpture, et combien le sentiment plastique lui est nécessaire ? Que l’on pétrisse l’argile pour en tirer les contours d’une statue ou le galbe d’un vase, il faut le même amour des lignes pures, les mêmes caresses pour la matière, la même volupté au bout des doigts. Je ne prétends point que les Chinois n’aient point inventé de belles formes ; c’est parce qu’ils en ont trouvé quelquefois que je suis d’autant plus sévère pour l’ensemble de leurs œuvres. Cette conclusion paraîtrait uniquement bizarre, si je n’essayais de la justifier par quelques développements.

Dix-huit ou vingt siècles avant la découverte de la porcelaine, la Chine fabriquait des vases de bronze, remarquables par le nombre, la variété, la fonte, les ornemens, l’élégance. Dans ce pays, comme dans l’antique Égypte, il faut remonter plusieurs milliers de siècles pour rencontrer la meilleure époque de l’art, car les sociétés sont soumises aux mêmes lois que les individus en vieillissant outre mesure : elles ont beau se rattacher au passé, la décadence les attend. Les plus beaux vases portent les dates de la dynastie des Chang (1766-1372 avant Jésus-Christ), de celle des In (1372-1122), de celle des Tchéou (1122-1248). Leurs formes furent copiées plus tard dans les fabriques de porcelaine. De même la Grèce, avant de façonner l’argile et de la peindre, avait rempli ses temples, ses trésors, ses demeures, de vases en métal. Dans la période féconde, quoique peu connue, qui précède le siècle de Périclès, les artistes les plus célèbres employaient ainsi l’argent et le bronze. Ils exécutaient les cratères magnifiques que les rois de Lydie ou les tyrans de Samos consacraient dans le sanctuaire de Delphes. Corinthe, Délos, Égine, s’enrichissaient par leurs fonderies ; l’école de Sparte, trop oubliée par la postérité, préparait dans ses ateliers tel vase immense, chargé d’ornemens et de sculptures, dont le renom s’étendait à l’avance dans le monde grec. Aussi les pirates de Samos se promettaient-ils d’enlever ce royal présent avant qu’il parvînt à Crésus. Tant de chefs-d’œuvre