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des pierres précieuses, et que les éclairs qui en jaillissent pourraient détourner une flèche.

La pâte blanche fut vraisemblablement la première en honneur. Celle de Ta-i était renommée dès le VIIe siècle. Le poète Thou-fou adressait à un mandarin une pièce de vers ainsi conçue : « A Ta-i, on fabrique de la porcelaine légère et solide. Quand on la frappe, elle rend un ton plaintif comme les coupes en jade. Les tasses blanches de votre seigneurie effacent l’éclat de la neige. Envoyez-moi promptement une de ces tasses dans mon humble cabinet d’étude. » La sommation est peu discrète, mais les poètes prennent bien d’autres licences. Déjà l’on cherchait des parois minces, sonores, transparentes. La tendance naturelle de la céramique est d’arriver en effet à la finesse et à la légèreté. C’est ainsi que les Grecs s’efforcèrent de donner à leur argile, si inférieure au kaolin, l’épaisseur la moins sensible. On gardait à Erythres, en Ionie, les monumens d’une rivalité généreuse entre un maître et son élève, qui s’étaient défiés un jour, chacun se vantant de façonner la coupe la plus mince. Les produits de cette lutte furent conservés par la ville et proposés comme modèles aux générations qui suivirent.

Quand la qualité de la pâte eut atteint une perfection notable, les ouvriers chinois essayèrent de décorer la surface. Les tasses et les écuelles du pays de Thsin étaient toujours d’un blanc pur, mais elles offraient en même temps des poissons en relief ou des veines imitant les rides de l’eau ; d’autres étaient ornées de dessins qui ressemblaient à de fins rubans ou plutôt à des pattes de crabe. M. Salvetat, chimiste à la manufacture de Sèvres, remarque avec raison, dans les notes qu’il ajoute à la traduction de M. Stanislas Julien, que ce nom de pattes de crabe peut s’appliquer aux vases à flammes, tant prisés des amateurs. On admirait surtout les porcelaines qui portaient des traces de larmes. Parfois l’émail avait l’aspect de graisse figée ; la comparaison est peu élégante, mais d’une exactitude toute chinoise. Telle fabrique obtenait des veines semblables à des œufs de poisson, telle autre savait semer des grains de millet et imiter la chair de poule ; plus loin, les pièces étaient déclarées charmantes, si leur émail, couvert d’une multitude de boutons, rappelait la peau rugueuse d’une orange. Dès qu’une bizarrerie heureuse était née du hasard, l’industrie de ce peuple imitateur s’efforçait de la perpétuer. Rien ne montre mieux combien les découvertes étaient parfois imprévues que la naïveté des inventeurs eux-mêmes. Un jour les ouvriers du village de Yong-ho fabriquèrent des vases et les mirent au four. Les vases étaient beaux comme du jade, c’est-à-dire comme des pierres précieuses. Un ministre de l’empereur était dans les environs. Craignant que ce miracle n’arrivât à sa connaissance, les ouvriers murèrent aussitôt l’ouverture et s’enfuirent. La