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byzantins, les émaux de Limoges, les vases arabes. On s’est plié à notre goût occidental, et l’on fabrique aussi mal que possible des vases destinés aux diables des mers. Il paraît que pour eux c’est toujours assez bon. En cela, les Chinois sont à la hauteur de notre commerce d’exportation ; mais j’admire la naïveté de l’auteur chinois, qui, après avoir exposé les règles de la fabrication de la porcelaine, finit par cette réflexion péremptoire : « Du reste, tout le mérite consiste à bien imiter la nature. » Est-il au contraire un art plus éloigné de la nature que l’art chinois ? En est-il un plus conventionnel ? Et ce sont précisément ces bizarres conventions qui font la beauté de ses meubles et de ses porcelaines ! En terminant, je ne saurais en faire un plus grand éloge, mais cet éloge a besoin d’être justifié.

L’industrie est une dépendance de l’art. Elle s’y rattache, elle vit de ses reliefs, elle lui doit souvent sa grandeur ; mais il faut qu’elle conserve le caractère qui lui est propre. Les artistes peuvent descendre jusqu’à elle : Raphaël a dessiné des modèles pour les tapisseries d’Arras et les plats de Faenza. Quant à l’artisan, il se perd, s’il prétend créer à la manière des artistes. Vos statuettes sculptées dans le bois par les montagnards de la Suisse, ou dans l’ivoire par les pêcheurs de Dieppe, vos figures de cire, parure des places publiques, vos chevaliers sur les pendules, vos chiens et vos chats brodés sur le canevas, vos paysages sur les papiers peints me font tout simplement horreur. Dès qu’on imite la nature, on fait de l’art, et l’art a des exigences suprêmes. Les essais d’un ouvrier ne peuvent toucher que par leur naïveté, comme les dessins des écoliers sur leur rudiment. A-t-il du talent, qu’il devienne peintre ou sculpteur ; veut-il rester dans l’industrie, qu’il ne profane point, par de plates caricatures, les œuvres du Créateur. L’industrie a son domaine privilégié, où elle ne craint plus une comparaison qui l’écrase : ce domaine est sans limites, c’est la fantaisie. Dès-lors elle n’évoque plus les jugemens sévères de notre raison : elle ne peut que satisfaire notre goût et provoquer ses caprices ; Peignez sur vos tentures des fleurs impossibles ; que les pétales soient vertes, les feuilles rouges, la tige dorée, peu m’importe si les dessins sont légers et les tons harmonieux. Mon regard erre avec plaisir sur un tapis couvert de rinceaux fantastiques ; il en suit les enroulemens sans chercher à se les expliquer : la beauté du tissu et la richesse des couleurs suffisent pour le charmer. Travaillez l’ivoire comme une dentelle, faites porter vos meubles par des monstres et des chimères, sculptez sur vos portes et vos cheminées des orneens dont le type m’échappe, aussi bien que le fil de ses idées échappe à l’homme qui rêve ; vous ne parlez plus qu’à mon imagination, toujours prête à vous suivre, et qui n’a d’ailleurs d’autre critique que cet instinct fugitif et variable, cette fleur de sentiment