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mari et la gouvernante. Le lendemain matin, elle me proposa d’aller nous promener dans le jardin. Nous le traversâmes dans toute sa longueur jusqu’à l’étang ; Arrivés là, elle me dit tout à coup à voix basse et sans me regarder :

— Ne le faites plus à l’avenir, je vous en prie, — et elle se mit à me parler d’autre chose…

Je ne sais si elle remarqua ma confusion.

Je reconnais, du reste, que son image ne me sort pas de l’esprit, et je crois vraiment que si j’ai pris la plume pour l’écrire, c’est afin de pouvoir penser à elle et d’en parler. J’entends d’ici les piétinemens des chevaux qui m’attendent ; je vais me rendre chez mes voisins. Mon cocher ne me demande plus où il faut me conduire, lorsque je monte en calèche ; il va droit à la campagne de Priemkof. Avant d’y arriver, à deux verstes environ de leur village, la route fait un détour, et on aperçoit subitement leur maison entourée d’un bois de bouleaux. Chaque fois que j’en aperçois les fenêtres dans le lointain, je me sens heureux.

Il faut décidément que je m’arrête pour couper court à toutes les suppositions que tu ne manquerais pas de faire, si je continuais, sur ce ton. Je t’en dirai plus long la prochaine fois… Mais qu’aurai je à t’apprendre ? — Adieu. — À propos, jamais elle ne dit adieu tout court, mais bien : — allons, adieu. Cette façon de parler me plaît beaucoup.

P. S. Je ne sais si je te l’ai dit, elle sait que j’avais demandé sa main.


LETTRE SIXIEME
Le même au même
M…, 10 août.

Avoue-le-moi, tu t’attends à une lettre triomphante ou désespérée… mais tu te trompes ; ma lettre ne différera point de toutes celles que je t’ai déjà écrites. Il ne s’est passé rien de nouveau, et, à vrai dire, je ne comprends pas qu’il en puisse être autrement. Nous avons fait dernièrement une promenade en bateau sur l’étang. Je vais te la raconter. Nous étions trois : elle, Schimmel et moi. Je ne sais pourquoi elle invite si souvent ce vieillard. Les X… commencent à lui faire mauvaise mine ; ils disent qu’il néglige ses leçons. Du reste, je l’ai trouvé cette fois plus amusant que de coutume. Quant à Priemkof, il ne nous a point accompagnés ; il avait mal à la tête. Le temps était beau, quelques traînées de nuages blancs flottaient çà et là sur un ciel d’azur ; la nature était admirable, le bruit du feuillage, le son argentin de l’eau qui battait les bords de l’étang, les éclairs fugitifs qui couraient sur les vagues, une fraîcheur délicieuse, le soleil !…