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chef peut se résumer ainsi : la prohibition est le salut de nos populations ouvrières ; l’abandon du système prohibitif par la France serait pour l’Angleterre une bonne fortune incomparable, et pour notre patrie un désastre. Chacune de ces propositions appelle une discussion séparée, que je vais, essayer.


I. – SI LA PROHIBITION EST LE SALUT DES POPULATIONS OUVRIERES.

Parlons d’abord des classes ouvrières. M. Mimerel ne se lasse pas de dire que si l’on supprime la prohibition, les marchandises étrangères inonderont le marché français, et que du coup nos ateliers seront fermés. Il y a quelque quinze ans qu’on nous répète cette opinion, doublée de toutes les affirmations imaginables ; mais ces affirmations sont-elles bien convaincantes ? Quelle que soit l’autorité de M. Mimerel, sa parole n’est pas encore parole d’Évangile, et, pour s’accréditer, toute théorie, même celle de la prohibition, se produisant sous les auspices des hommes les plus puissans dans l’état, est tenue de s’appuyer sur l’expérience. Or, depuis l’époque où M. Mimerel est entré en campagne dans l’intérêt de la prohibition et l’a proclamée le palladium de l’industrie, ce que personne n’avait fait avant lui, la prohibition a été abolie dans bien des, états, en Angleterre d’abord, en Hollande de même, ainsi qu’en Piémont ; elle l’a été en Autriche ; l’Espagne et la Russie n’en ont plus que des vestiges. La Prusse ne l’a jamais connue, depuis 1814 au moins. Les ateliers de ces peuples sont-ils déserts pour cela ? Assurément non ; ils sont de plus en plus actifs. La France est hors ligne pour la prohibition : les 19/20es des objets manufacturés sont prohibés par notre tarif ; mais enfin Il y a bien çà et là quelques articles qui ne sont pas prohibés, — les tissus de soie et de lin par exemple, la filature du lin, et certaines variétés de la filature de la laine. Or la production de ces articles, chez nous, est-elle nulle ? N’est-elle pas au contraire considérable et toujours croissante ? En France même, depuis 1836, on a levé quelques prohibitions ; les industries qui ont perdu cet abri ont-elles succombé ? ne sont-elles pas plus florissantes ? Il y a un peu plus d’un an, un décret a provisoirement levé la prohibition dont étaient frappés les navires construits à l’étranger, et ces navires ont la faculté d’être francisés moyennant un droit modique. La construction des navires en France en a-t-elle éprouvé du dommage ? Il ne faut donc pas dire que la prohibition est la condition de l’existence de nos ateliers. Et pour qu’elle le fût, pendant que les autres nations s’en passent si aisément, il faudrait que nous fussions au plus bas degré de l’échelle.

La prohibition n’est pas le seul moyen de garantir l’industrie nationale