Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute sa vie. Il donne à toutes ses figures un caractère maladif, et supprime assez volontiers la charpente pour donner aux membres plus de souplesse. Si l’on pouvait animer les personnages qu’il a créés et les réunir dans une ville bâtie exprès pour eux, on aurait sous les yeux une population d’un genre tout nouveau. A force d’altérer le ton des chairs et la forme du corps, M. Signol s’est fait une sorte d’originalité. Il comprend d’ailleurs les sujets religieux d’une manière assez neuve. Il parait croire que la beauté n’existe plus depuis l’avènement de la foi chrétienne. Est-ce de sa part une calomnie involontaire, ou bien a-t-il répudié la beauté comme une donnée païenne? C’est une question délicate qui déroute les esprits les plus pénétrans. Je l’ai entendu poser, personne encore n’est parvenu à la résoudre.

MM. Cornu, Gérôme et Jobbé Duval possèdent un talent d’une nature individuelle. La chapelle peinte à Saint-Merri par M. Cornu le désignait au choix de l’administration pour la décoration de Saint-Séverin. Formé à l’école de M. Ingres, il comprend toutes les conditions de la peinture religieuse, et ne sépare jamais l’élégance de la forme de la sincérité de l’expression. Il ne croit pas que l’harmonie des lignes puisse nuire à l’effet d’une scène chrétienne, et je me rallie volontiers à son opinion. Familiarisé de bonne heure avec les problèmes les plus difficiles que présente l’art du dessin, il n’essaie jamais de tourner un obstacle et aborde franchement le péril qui se présente. On sent, en regardant ses œuvres, qu’il aime son métier, et ne se contente pas d’un à-peu-près. Il veut achever en conscience ce qu’il a commencé et ne laisser aucun doute sur la pensée qu’il a tenté d’exprimer. M. Gérôme, instruit par les leçons de M. Paul Delaroche et de M. Gleyre, se recommande par une grande habileté de main. Il saisit rapidement l’aspect le plus heureux d’une figure et le rend avec précision. Quant à l’expression, il ne parait pas y attacher une grande importance, tort grave, dont il n’avait pas mesuré tout le danger, qu’il doit maintenant chercher à réparer. Avec une main si habile, il serait vraiment fâcheux qu’il traitât le côté expressif de la peinture comme une chose secondaire. Dans la manière dont il conçoit la forme et la disposition des personnages, il a montré l’étendue, la vivacité de son intelligence. Il y a donc lieu d’espérer qu’il portera son attention sur la partie poétique de son art après en avoir étudié la partie technique avec un soin que personne ne songe à contester. Le public n’a pas oublié son Combat de Coqs, et ne se ferait pas prier pour applaudir une œuvre où la pureté de la forme s’allierait à la franchise de l’expression. Moins habile que M. Gérôme dans le maniement du pinceau, M. Jobbé Duval donne aux physionomies un caractère qui intéresse tout d’abord le spectateur.