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J’aimerais mieux voir Mme de Montarcy, provinciale timide et fière, ne pas choisir une hôtellerie hantée par de tels hôtes. Je reconnais pourtant que sous le règne de Louis XIV les cabarets n’étaient pas aussi mal vus qu’aujourd’hui, et que les seigneurs de la cour les fréquentaient volontiers. C’est une circonstance atténuante pour d’Aubigné, pour les courtisans dont il a entendu la conversation. Pour Mme de Montarcy et son mari, il n’en pas de même.

Au second acte, nous trouvons Mme de Maintenon s’entretenant familièrement avec Nanon, sa servante, qui l’a connue dans l’indigence, et qui l’a suivie dans la prospérité. Pour ces intimes épanchemens, l’interlocutrice n’est peut-être pas mal choisie. Cependant je crois qu’il eût mieux valu mettre en scène un autre personnage, car Nanon, malgré sa fidélité, ne comprend qu’à demi les soucis de sa maîtresse. Arrive d’Aubigné, qui force la porte de sa sœur. Conseils, réprimandes, il ne veut rien écouter. Toute la première partie de cette scène est bien conçue, et l’expression ne trahit jamais l’intention de l’auteur : je veux dire qu’elle ne la présente jamais sous un aspect infidèle ; mais la seconde partie, pour parler la langue usitée, est trop poussée à l’effet. D’Aubigné demandant à sa sœur le bâton de maréchal et répétant à outrance : Le bâton, le bâton, comme Orgon, quand il veut punir l’audace de Damis, me parait une invention quelque peu hasardée. S’il a souhaité, s’il a sollicité le bâton de maréchal, et j’admets volontiers cette ambition chez le frère de la favorite, il a dû s’exprimer autrement pour obtenir l’objet de sa convoitise.

Le troisième acte est mieux mené que les deux premiers. La mutuelle passion de la duchesse de Bourgogne et de Maulevrier, ardente et contenue, révèle par quelques mots échangés à voix basse. La confusion de Mme de Montarcy en présence de la jeune femme dont elle épie les actions, et qui ne voit en elle qu’une amie, est rendue avec habileté. L’empressement des courtisans auprès de M. de Montarcy est peut-être un peu trop verbeux. Pour réussir, ils devraient ménager un peu plus l’orgueil du protecteur qu’ils croient tout-puissant ; la prière ainsi exprimée est trop voisine de l’injure : ils raillent plutôt qu’ils ne sollicitent. Le brevet de colonel remis par le roi entre les mains de Mme de Montarcy n’est à mes yeux qu’une invention inutile pour exciter la jalousie du mari. Le baiser sur la main de femme, un baiser en tête-à-tête, suffisait amplement. De la part d’un monarque habitué à la soumission universelle, c’était plus qu’un témoignage de courtoisie.

Le quatrième acte, applaudi par le parterre et par les loges comme l’expression de l’orgueil national personnifié dans Louis XIV, justifie les battemens de mains par la splendeur du langage, mais ne s’accorde pas avec l’histoire. L’élève de Mazarin aurait eu peine à comprendre les sentimens que lui prête M. Bouilhet. Il voulait la volonté de la France faite à l’image de la sienne, et sa fierté ne s’épanchait pas en périodes si abondantes. Il avait de lui-même une trop haute opinion pour prodiguer ainsi les paroles. Je crains que l’auteur en cette occasion n’ait confondu Louis XIV avec Philippe-Auguste et François Ier.

Au cinquième acte, nous voyons M. de Montarcy poussé au désespoir par la jalousie et résolu aux dernières extrémités. Il veut empoisonner sa femme