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raisons pour le dire ; mais s’ils ne pouvaient apporter d’autres preuves, que les Faux Bonshommes, je serais obligé de leur donner tort. Ce n’est pas que l’esprit manque dans la comédie de M. Barrière ; mais les traits spirituels que les spectateurs veulent bien applaudir comme nouveaux sont connus depuis longtemps, et ne sont, à vrai dire, que des lazzis d’atelier. Parfois même ils ne sont pas empruntés aux rapins, et sont dérobés aux modèles, qui, à force d’entendre des quolibets, se permettent d’en inventer. Dans cette pièce, qui a été signalée comme un événement littéraire, il n’y a pas trace d’originalité. Je n’essaierai pas de la raconter, ce serait chose parfaitement inutile. La fable est nulle. Les personnages vont et viennent sans que le spectateur puisse deviner pourquoi. L’action, si toutefois on peut donner ce nom aux portes qui s’ouvrent et se ferment pour laisser passer des personnages sans caractère déterminé, l’action fait la navette, et si je me sers de cette expression, c’est qu’elle est consacrée par un long usage, car elle manque d’exactitude. Le tisserand, à la fin de sa journée, après avoir lancé, repris et lancé de nouveau sa navette, a devant lui une pièce de toile. Après avoir écouté pendant quatre heures d’une oreille attentive les bons mots recueillis par M. Barrière et cousus en dialogue, le spectateur habitué à penser par lui-même se demande à bon droit où est la comédie. Après quatre heures d’attente, il n’est pas plus avancé qu’au lever du rideau. Le public, je le reconnais, ne se fait pas prier pour rire. Plus d’une fois dans la soirée il témoigne son hilarité par de bruyans éclats. Une pièce amusante, c’est si rare ! Eh bien ! je ne crois pas que parmi les auditeurs les plus gais il y en ait un seul capable d’entendre une seconde fois les Faux Bonshommes sans bâille à se démettre la mâchoire. Tous ces lazzis de rapins qui étonnent la bourgeoisie ne valent pas une scène de vraie comédie et ne résisteraient pas à l’épreuve d’une seconde audition.

J’en suis fâché pour M. Barrière, qui est jeune, et devrait chercher des idées nouvelles, au lieu de ramasser des idées harassées par un long usage ; mais Il y a si peu de jeunesse dans la comédie nouvelle signée de son nom, que je me demandais s’il n’avait pas remis à neuf quelque folie de Piis ou Désaugiers, de Radet ou Desfontaines, qui ont été glorieux dans leur temps. Je ne connais pas tout le répertoire de ces illustres devanciers, qui florissaient encore quand j’étais assis sur les bancs du collège. Peut-être ont-ils traité avant le retour des Bourbons la grande donnée des faux bonshommes, mais je possède à cet égard une érudition si indigente, que je n’ai pas le droit d’accuser M. Barrière d’emprunt. J’ai reconnu, j’ai salué comme de vieilles connaissances des plaisanteries que j’entends depuis vingt ans, chez mes amis, tandis qu’ils manient l’ébauchoir ou le pinceau. Je n’oserais affirmer que les maîtres du genre, dont je viens de rappeler les noms, ont fourni le modèle de la comédie nouvelle. Je puis dire seulement que Piis et Désaugiers agissaient avec plus de prudence que M. Barrière, et se rappelaient en temps opportun la pensée de Beaumarchais sur la parole récitée et la parole chantée. Ils ne livraient pas sans défense une vieille plaisanterie ; ils l’enfermaient dans un couplet comme dans une cuirasse, et cette précaution leur portait bonheur. Grâce au bruit de l’orchestre, le public n’entendait qu’à moitié ce qu’ils voulaient dire, et ne manquait jamais d’applaudir ce que les hommes du métier nomment le coup de fouet. Comme les profanes pourraient