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dont la comédie ne peut se passer. M. Léon Laya, dans l’espoir sans doute de se concilier les suffrages des hommes sérieux, s’est appliqué à prêcher au lieu de mettre en scène des personnages vivans, en leur prêtant des caractères raisonnables ou ridicules, et le sujet de sa prédication est un des lieux communs les plus vieux que je connaisse. Il s’agit de prouver qu’une jeune fille est plus heureuse en épousant un notaire qu’en épousant un poète. Quand je dis lieu commun, je suis généreux, car on appelle de ce nom les vérités qui n’ont plus besoin d’être démontrées, et malgré le sermon en trois points signé du nom de M. Laya, je ne suis pas encore convaincu. Je ne crois pas, que l’auteur me pardonne mon incrédulité, je ne crois pas qu’il suffise d’avoir acheté ou même payé un office de notaire, ce qui n’est pas la même chose, pour assurer le bonheur d’une jeune fille. L’étude fût-elle payée, la dot ne dût-elle pas servir à faire de l’acquéreur endetté un titulaire sérieux, un libre possesseur, le bien-être matériel du ménage fût-il cent fois assuré, l’ennui peut se glisser dans le cœur de la jeune femme aussi bien que dans le cœur de la jeune fille. Je ne veux pas rappeler ici le premier vers de Philémon et Baucis, qui trouverait pourtant son application toute naturelle ; mais on me permettra d’affirmer que les belles robes et les belles dentelles ne sont pas le bonheur tout entier. Les meubles de palissandre incrustés de houx ne sont pas contre l’ennui une infaillible garantie. On peut bâiller devant une portière du plus beau lampas. M. Léon Laya ne parait pas s’en douter. Si nous devions le croire sur parole, la femme d’un notaire n’aurait rien à redouter de l’avenir. Tranquille et fière dans son boudoir, elle n’aurait qu’à recevoir les visites de ses bonnes amies ; sa vie ne serait jamais troublée par aucun souci.

L’ennui n’est pourtant pas le seul danger dont je puisse parler : nous avons vu, sans remonter bien loin dans nos souvenirs plus d’un notaire faire la culbute et donner un terrible démenti à la thèse soutenue par M. Laya ; mais la sécurité n’est pas son principal argument, et sa prétention est de prouver que les notaires ne sont pas des pauvres d’esprit, que les femmes les plus exigeantes, les plus rêveuses, peuvent trouver à contenter leurs instincts poétiques dans la conversation d’un mari pourvu d’un office ministériel. Ici, le défenseur me parait s’engager dans une voie périlleuse. J’admettrai volontiers que la rédaction d’un testament ou d’un acte de vente n’éteint pas le feu de l’imagination native, je consens même à croire qu’un notaire muni d’une éducation libérale peut stipuler pendant vingt ans des emprunts hypothécaires sans rien enlever à la vivacité primitive de son intelligence ; mais on m’accordera bien, je l’espère, que la pratique de sa profession n’est pas le moyen le plus sûr de développer l’imagination. Qu’il y ait parmi les notaires d’excellens maris, je n’en doute pas un seul instant, et la question n’est pas là ; qu’il se rencontre parmi eux des intelligences très nettes, très lucides, je ne songe pas à le contester. Par malheur, ce n’est pas sur ce terrain que s’est placé M. Laya. Il dit très clairement que les notaires n’ont pas dans le cœur moins de poésie que les poètes. Il ne faut donc pas les ranger parmi les pauvres d’esprit. Essayons pourtant de nous entendre avec lui sur la valeur des termes. Pour M. Laya, la poésie n’est pas tout entière dans l’expression de la fantaisie, et je lui