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C’est là le moment lumineux dans la carrière de M. de Balzac, moment rapide et fugitif qui marque la complète floraison de son talent, et qui ne brillera plus pour lui désormais du même éclat. À peine en effet arrivé à ce sommet, qui semble son point de perfection, il commence à descendre : il aura des retours sans doute et des rencontres heureuses ; plus d’un de ses grands romans qui suivront offrira dés études sérieuses, des morceaux admirables, mais ce sera toujours avec de fâcheux mélanges et d’étranges inégalités. Non-seulement ses belles qualités se gâteront en s’exagérant, mais, travaillé d’ambitions folles et méconnaissant la vraie nature de son talent, il le fourvoiera en mille entreprises hasardeuses où chaque pas sera marqué par une chute.

C’est une remarque à faire dès à présent, que M. de Balzac, avec ses prétentions à la fécondité et à l’originalité, a toute sa vie, sauf à de rares intervalles, subi des influences étrangères et reçu ses inspirations du dehors. Sa forme est à lui sans doute, il s’est fait dans le roman un genre à part, le genre descriptif et l’analyse des mœurs intimes ; mais pour le fond, il l’emprunte souvent ou l’imite. L’imagination chez lui est riche de détails, riche jusqu’à la profusion et à l’excès : elle est pauvre dans l’invention, dans la conception des caractères, des situations et des passions. Là il manque de variété, et, tournant dans un cercle assez étroit, reproduit sans cesse les mêmes types. Aussi le voit-on, quêtant à droite et à gauche les inspirations, attentif aux caprices de la mode, habile à saisir au vol toute idée nouvelle qui traverse l’atmosphère littéraire, s’essayer dans tous les genres et se mettre à la remorque de tous les succès du jour. Ainsi nous l’avons vu, parti de l’imitation du roman anglais, passer au genre psychologique et fantastique mis à la mode par l’Allemagne. À peine a-t-il traversé la veine vraiment originale de ses Scènes de la vie privée, qu’il se jette brusquement dans un ordre d’idées où la pente naturelle de son esprit ne semblait pas devoir le conduire. C’était le temps où naissaient à foison les religions nouvelles et pullulaient les réformateurs et les messies : M. de Balzac s’érige à son tour en prophète. Saint-Martin, le philosophe inconnu, était Tourangeau : Tourangeau lui-même, l’auteur de la Peau de Chagrin prétend continuer Saint-Martin, comme il avait continué Rabelais, et le voilà qui, amalgamant ensemble le mysticisme, le matérialisme et le panthéisme, écrit Louis Lambert et Seraphita. Un peu plus tard, épris des rêveries du magnétisme animal, il élèvera les doctrines de Mesmer à la hauteur d’un dogme religieux, en même temps qu’il se fera un ressort dramatique nouveau des miracles des sciences occultes. Chose étrange ! cet esprit profondément sensualiste a la malheureuse prétention de toucher aux fleurs les plus mystiques de la