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Louis Lambert, c’est la science ; Seraphita, c’est l’inspiration. Le premier pose dogmatiquement les principes des choses ; la seconde nous emporte sur les ailes de l’extase dans les sphères des mondes supérieurs. On se demande d’abord comment sur les bases établies dans Louis Lambert peut s’élever un système de philosophie mystique, car enfin, dans la langue usuelle, mysticisme et matérialisme sont deux termes qui semblent s’exclure et se contredire, l’un tendant à anéantir la matière au profit de l’esprit, l’autre abolissant l’esprit au profit de la matière. Cette difficulté n’en est pas une pour M. de Balzac. Il vient de nous le dire en effet : c’est dans l’unité de la substance universelle qu’est la solution de tous les problèmes philosophiques, que s’opère la fusion du spiritualisme et du matérialisme. Seraphita revient sur la même pensée, comme sur le fondement de toute science. Le monde, à l’entendre, a été formé par « une seule substance, le mouvement. » — « L’invisible univers moral et le visible univers physique constituent une seule et même matière[1]. » Mais cette matière revêtant des modifications infinies et se subtilisant de plus en plus, au-dessus du monde naturel il y a un monde spirituel, il y a même un monde divin, et il est donné en certains cas à notre esprit de pénétrer dans ces régions sublimes, d’y voir la vérité face à face. Par quelle voie ? C’est par la vision intérieure, par l’extase mystique.

Ainsi l’auteur de Louis Lambert arrive au mysticisme à l’aide d’une sorte de panthéisme matérialiste. Tout est matière : l’âme humaine est matière, la pensée est chose matérielle ; mais, grâce au phénomène de l’extase ou de l’hallucination, cette pensée entre en communication avec les mondes supérieurs et va se plonger, étincelle éphémère, dans le foyer de la lumière éternelle. C’est pour nous acheminer vers ces hauteurs de la science nouvelle que M. de Balzac a écrit un conte fantastique où sont entassés pêle-mêle la biographie du théosophe Swedenborg, des analyses de ses bizarres théories, des lambeaux de ses rêves, des récits d’apparitions, et pour lier tout cela tant bien que mal, je ne sais quelles amours éthérées de Seraphita ou Seraphitus (car son héros ou son héroïne est une sorte d’androgyne mystérieux, moitié ange, moitié femme) avec une jeune fille candide et un certain Wilfrid, qui rappelle le typé effacé des Manfred et des Childe-Harold. Dire au surplus quelle conclusion ressort de cette étrange élucubration, bien habile qui le pourrait faire. Vous avez beau chercher ce qui se cache derrière ces nuées du sanctuaire, comme parle l’auteur : les nuées, brillantes à la surface, sont impénétrables au regard. Des images ambitieuses et vides, des

  1. Seraphita, p. 219, 265, in-8o, 1835.