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dont rend parfaitement compte le fluide universel[1]. Nos sentimens obéissent aux lois de la physique, et l’amour notamment est un phénomène qui ressemble tout à fait en certains cas à une décharge de la bouteille de Leyde ou à un courant de la pile voltaïque. Ursule raconte comment elle a conçu de l’amour pour Savinien ; elle l’a vu par la fenêtre, faisant sa barbe ; la situation n’a rien de très poétique. « Il m’a monté, dit-elle, je ne sais d’où, comme une vapeur par vagues au cœur, dans le gosier, à la tête, et si violemment que je me suis assise. Je ne pouvais me tenir debout, je tremblais[2]. « Notre littérature avait souvent parlé de l’amour foudroyant, et nous sceptiques, nous nous en étions moqués, ne comprenant pas qu’il y avait là un fait scientifique du plus haut intérêt et des mieux constatés. L’auteur de Seraphita a mis hors de doute ce point de physiologie : « Si, chez la plupart des femmes, l’amour ne s’empare d’elles qu’après bien des témoignages, des miracles d’affection,… il en est d’autres qui, sous l’empire d’une sympathie explicable aujourd’hui par le fluide magnétique, sont envahies en un instant. »

Il serait puéril d’insister. Si nous sommes entré dans ces détails, ce n’est pas, on voudra bien le croire, que nous accordions à toutes ces rêveries une valeur et une portée qu’elles n’ont jamais eues. Nous savons bien aussi que le public n’a guère goûté les élucubrations de Louis Lambert, qu’il n’a rien compris aux extases de Seraphita, l’auteur vraisemblablement ne s’étant pas compris lui-même ; qu’enfin il a ajouté peu de foi aux théories scientifiques d’Ursule Mirouet. C’est M. de Balzac, c’est le fond de sa pensée que nous cherchons à travers toutes ces fantaisies. Or il est clair pour nous, après cette étude, qu’en dépit de la profession de foi écrite dans la préface de la Comédie Humaine, M. de Balzac n’est ni un catholique ni un chrétien ; nous ajoutons qu’il n’est même ni un philosophe spiritualiste ni un véritable mystique : il est tout bonnement un sceptique et un matérialiste. Ses maîtres ne s’appellent ni Saint-Martin ni Swedenborg ; ils ont nom Helvétius et Diderot.

À quel point ces tristes doctrines ont déteint sur ses œuvres et en ont faussé les tendances morales, à quel point le talent même du romancier en a été souvent altéré et flétri, c’est ce qu’un coup d’œil jeté sur ses principaux ouvrages nous mettra tout à l’heure à même d’apprécier. Avant de quitter le terrain des principes et des théories, qu’on nous permette un dernier mot sur un sujet qui a son importance. M. de Balzac a-t-il en, en matière politique et sociale,

  1. Ursule Mirouet, première partie.
  2. Ibid., ibid.