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y deviennent plus saillans. Cette tendance à l’exagération, ce manque de mesure, de sobriété, de tact, de naturel, qui se montre dans ses caractères, tout cela s’aggrave et lui devient écueil. Dans un livre, à force d’esprit, d’habileté et de charme dans les détails, ces défauts peuvent jusqu’à un certain point se racheter ou se dissimuler ; au théâtre, ils sautent aux yeux, et le spectateur ne les pardonne pas. Au théâtre, les détails disparaissent ; ce sont les grandes lignes qui frappent. Vous avez beau prodiguer l’esprit : l’esprit ne vous sauvera point, si vous choquez le goût, ou si vous violez cette loi suprême, la vérité morale.

Des deux drames qu’a faits M. de Balzac, Paméla Giraud et la Marâtre, le second seul mérite quelque mention. Dans les deux premiers actes, où se dessinent les principaux caractères, où sont semés des détails de mœurs, le peintre original reparaît ; mais aussitôt qu’on entre dans le drame proprement dit, l’action trébuche dans la vieille ornière du mauvais mélodrame.

Quinola, malheureuse imitation d’un type célèbre sur notre scène, plate et prétentieuse copie de Figaro, ne méritait de vivre ni par l’intérêt, ni par l’esprit, ni par le style. Avec Vautrin, l’auteur pensait-il rentrer dans la comédie de mœurs ? On se demande aujourd’hui encore quel a été le sens de cette débauche dramatique. L’auteur a-t-il voulu rivaliser avec un des grands succès du théâtre contemporain et donner un émule au héros de l’Auberge des Adrets ? C’est la supposition qui nous paraît la plus vraisemblable. Vautrin, à vrai dire, n’est rien qu’un Robert Macaire plus sombre et plus hideux. Il a le même esprit, l’esprit du bagne. Il fait moins rire, en revanche il inspire plus d’horreur et de dégoût. En cela, il est moins dangereux ; c’est sa seule excuse.

Il semble que ce type si tristement fameux des théâtres populaires ait véritablement exercé une sorte d’obsession sur l’esprit de M. de Balzac. Mercadet n’est-il pas encore un reflet du même personnage, dont Quinola portait déjà par momens les enseignes ? Mercadet le faiseur, n’est-ce point Robert Macaire spéculateur, homme de bourse, se drapant dans sa rouerie, et étalant spirituellement ses théories cyniques ? Caractère de notre temps, je le veux, qui appartenait à l’auteur dramatique, je n’en disconviens pas, mais que j’aurais voulu voir peint d’une main moins indulgente et sous des couleurs moins favorables. Le rire que doit provoquer le moraliste au théâtre, ce n’est pas le rire approbateur, rire qui gâte l’esprit et corrompt le cœur ; c’est le rire qui corrige en flétrissant le vice, c’est le rire qu’excitent le Tartufe et l’Avare.