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heureux d’être des premiers à le signaler. J’espère que l’auteur de cette chapelle ne démentira pas ses débuts.


Les peintures de M. Théodore Chassériau dans l’abside de Saint-Philippe-du-Roule sont très certainement son meilleur ouvrage. Comme choix de tons, comme harmonie de couleurs, c’est une composition qui ne peut manquer de séduire le spectateur. C’est là un mérite que je me plais à signaler. Lors même qu’on arriverait à prouver que le choix des tons est un don naturel qui n’a rien à démêler avec l’étude, et pour ma part je crois la chose difficile à établir, la justice commanderait encore de louer l’aspect harmonieux de cette composition. Je n’aime pas les peintures exécutées par M. Chassériau dans le grand escalier de la cour des comptes. La chapelle décorée par lui à Saint-Merri, et consacrée à sainte Marie-l’Égyptienne, ne me paraît pas conforme aux lois de la peinture religieuse. Le Calvaire de Saint-Philippe-du-Roule révèle, chez le jeune artiste qui vient de mourir, le sérieux désir de bien faire, et, chose plus rare, une certaine déférence pour les objections qu’il avait soulevées. Malgré les louanges que ses amis lui prodiguaient, il ne croyait pas avoir touché le but de son art, et s’efforçait de plus en plus de corriger, d’agrandir sa manière. Dans son Calvaire, volontairement ou involontairement, peu importe, il se rapproche des Vénitiens, ou du moins il les rappelle, ce qui n’est pas absolument la même chose. Il est impossible de regarder l’abside de Saint-Philippe sans songer à une composition du Tintoret sur le même sujet qui se voit à Venise dans l’école de San-Rocco. Ce n’est pas un des meilleurs ouvrages de ce maître, et sans doute il eût mieux valu choisir un autre modèle, mais on ne peut nier que M. Chassériau n’ait représenté la foule qui assiste au supplice avec une puissance d’imagination qui n’appartient pas aux peintres vulgaires. Si de l’aspect général des groupes on passe à l’étude des figures, on est malheureusement obligé de se montrer plus sévère. Je m’empresse de louer la variété des physionomies, mais je suis obligé de reconnaître que le dessin manque de correction. En songeant à l’escalier de la cour des comptes, à la chapelle de Sainte-Marie-l’Égyptienne, je comprends que M. Chassériau a voulu traiter le Calvaire dans un style élevé; je comprends aussi qu’il n’a pas réalisé son vœu. Il a cherché, il a trouvé le côté pathétique du sujet, il n’a pas réussi à traduire clairement sa pensée. Les personnages, dont le mouvement est presque toujours vrai, manquent d’élégance et de pureté. Préoccupé très justement de la partie expressive, il a trop négligé la partie linéaire, la précision des contours, c’est-à-dire, en d’autres termes, les lois élémentaires de la langue qu’il parlait.