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la fît chrétienne, de là ce nom de Rosa, qui lui convenait merveilleusement. Elle avait à peine dix-sept ans, mon Dieu, oui, si peu que cela. Ici les années viennent se poser sur les femmes sans les écraser sous leur poids. Bien loin de là, je crois que souvent elles les parent. Elles les rendent animées et harmonieuses comme des arbres où se nichent des fauvettes. — Vous riez ? — Ai-je tort ? — Que voulez-vous ? je vous jure que je pense ainsi. Eh bien ! il n’en est pas de même en Orient. Vingt ans courbent une femme dans ce pays-là. Au milieu d’un visage blanc nuancé d’un rose presque insensible, et d’une délicatesse, d’une fraîcheur qui sont l’orgueil comme le secret du harem, elle avait des yeux remplis d’une telle clarté qu’on eût dit, lorsqu’ils illuminaient tout à coup son visage, l’invasion du soleil dans un bois de myrtes. Maintenant, pour vous la faire entièrement connaître, il faut que je vous parle tout de suite d’un homme dont le portrait pourrait m’embarrasser très fort ; mais, je le déclare, il ne m’embarrasse pas.

Le marquis de Claresford est devenu Anglais par hasard entre dix-huit et vingt ans. Il s’appelait Hugues d’Hériville, et menait dans un coin de la France une vie des plus retirées, quand il lui arriva cette romanesque aventure, qu’un de ses parens à un degré remontant aux temps héroïques des Normands lui laissa la pairie de Claresford. Ainsi le fils de Catherine Gordon devint un jour lord Byron. Si je parle de Byron du reste, c’est parce que Claresford lui a été quelquefois comparé sans que je sache trop pourquoi. Tous les deux, il est vrai, ont eu le privilège d’être de temps à autre le repas du vieux vautour de Prométhée ; mais Byron à coup sûr était un régal plus précieux que Claresford pour l’oiseau olympien. Hugues n’a jamais fait un seul vers, et les œuvres qu’il s’est avisé un jour d’écrire dans un anglais des plus bizarres n’ont d’autre intérêt que la sincérité d’un esprit indépendant de toutes choses, excepté de ses caprices et de ses passions. Ce sont en somme d’assez mauvais livres, rappelant continuellement cet état de l’atmosphère qui fait dire aux gens de la campagne : « Voilà le diable qui marie sa fille et qui bat sa femme. » Si vous les aimez cependant, libre à vous, je ne vois pas pourquoi je m’embarquerais dans des questions littéraires. Le seul rapport qu’il l’ait entre Byron et Claresford, c’est que sans mépriser, bien loin de là, en respectant la pensée, tous deux ont refusé avec opiniâtreté d’en subir la domination exclusive : l’un et l’autre ont recherché l’action, l’un et l’autre l’ont aimée ; c’est Claresford, je dois le dire, dont la recherche a été la plus sérieuse, dont l’amour a été le plus vrai, le plus passionné.

Mais revenons vite à ses défauts. Avec toutes les apparences d’une humeur facile, rien au fond ne le satisfait. Il croit religieusement