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peu. Quoique tout le monde ait vu souvent son mari, qui est mort, même assez récemment, à la suite d’un dîner diplomatique, Olympia est née veuve. Elle est sortie veuve des mains du Créateur, comme Célimène de la cervelle de Molière. Vous êtes prête à vous fâcher, vous croyez que je tourne à la raillerie. Hélas ! j’ai dans le cœur bien autre chose que de l’ironie. Eh bien ! son seul rapport avec Célimène, c’est qu’elle est entourée d’adorations, et que, dans sa vie pleine de monde et de bruit, elle a toujours eu l’art de mettre je ne sais quoi d’isolé et d’indépendant. Curieuse de toute chose, sensible à toute chose, aux hommages, à l’art, à la poésie, elle avait gardé en elle une région où nul n’avait jamais pénétré. Ce fut cet Éden qu’elle livra un jour à Claresford. Étonnez-vous ensuite que toute contrée paraisse fade à ce malheureux ! Quand ils se virent, ce fut un de ces amours qui arrachent à l’arbre de la vie ses fruits les plus mystérieux et les plus enivrans, mais aussi contre qui tout conspire. Les rapports mêmes de leur nature étaient de terribles obstacles entre eux. Don Juan, tel qu’on l’a fait de nos jours, cette sorte d’archange infernal qui a tourmenté tant d’imaginations du siècle, est aussi bien le patron des femmes que celui des hommes. Elle avait, comme son amant, cette soif terrestre de l’idéal qui rend semblable à une goutte d’eau l’amour qu’au premier abord on croyait plus profond et plus vaste que l’Océan. Puis enfin, car je suis bien forcé de lui reconnaître un défaut, elle n’était pas étrangère à ce sentiment des âmes superbes et attristées, l’idolâtrie personnelle. Tout lui a été miroir où elle s’est contemplée : avant-hier le monde, hier l’amour, aujourd’hui la religion… Voilà cette fois que vous me lancez des regards furieux, vous dites tout bas que je suis un homme indigne ; laissez-moi donc achever… Et quelle image plus ravissante que la sienne pouvait attirer son attention !

Enfin il est arrivé ce malheur à Claresford, c’est que peu à peu, quand il a été loin d’elle, il lui a paru comme une glace ternie et pleine de défauts désobligeans. Chez ce pauvre diable, toute une partie de la vie était arrêtée. La guerre traite en nous certaines tendresses comme les fées traitèrent la belle au bois dormant : couchées dans un coin de notre âme, ces précieuses affections conservent toute leur fraîcheur sous le voile bienfaisant d’un sommeil enchanté. Pendant ce temps, leurs compagnes, celles qui devaient avec elles cheminer dans ce monde et remonter au ciel, s’inquiètent, se démènent, se flétrissent, puis deviennent enfin cette poussière dont nous sommes remplis quand le vent de la mort nous fait tomber. Des lettres, graduées avec un art d’autant plus terrible qu’il n’avait rien de prémédité, qu’il était l’œuvre même des invincibles destins, avaient appris à Claresford d’abord que l’amour était chose péris sable. Il avait répondu que c’était lui qui était fort périssable, surtout