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au titre de maître-ès arts, on consentit à le lui laisser, et en effet Cette dignité purement honorifique est facilement accordée, même à ceux qui partagent le moins les opinions religieuses et libérales des maîtres de l’université. Ainsi l’empereur du Maroc, le général Blücher et M. de Montalembert ont reçu les degrés à Cambridge. Le roi voulait pour son protégé, non un honneur stérile, mais une autorité véritable : il insista et fit écrire aux membres du conseil Une lettre menaçante. Leur réponse, bien qu’assez humble, ne laissa espérer aucune faiblesse ni aucune transaction ; ils désiraient ne pas déplaire au roi, qu’ils savaient violemment irrité, mais ils étaient décidés à faire respecter les privilèges de leurs institutions, les lois de leur pays. En même temps ils proposaient de nommer des députés qui viendraient expliquer à Londres leurs motifs, leurs griefs, et tenter un accomodement. Newton fut au nombre de ces dix députés, conduits par le docteur John Pechell, et il contribua plus que tout autre à la fermeté de leur attitude devant la commission nommée par le roi, qui devait décider du différend. Dans une réunion préparatoire, il s’était opposé à toute transaction : la loi d’ailleurs était formelle, et n’avait jamais été ni violée ni éludée dans la pratique. Newton ne parla point dans la séance publique, car la vie active ne lui convenait guère, mais la cause fut bien défendue. Il est vrai que la commission était dirigée par Jeffrey et par lord Mulgrave, bien dignes tous deux de travailler à l’asservissement de leur pays, et qui ne sont pas au-dessous de leur réputation d’injustice et d’immoralité. Newton de son côté était digne aussi de représenter la liberté civile et la religion protestante. La députation fut insultée et maltraitée, le vice-chancelier, John Pechell, fut destitué, et Jeffrey termina la séance en disant : « Puisque la plupart d’entre vous ont reçu les ordres, je veux vous congédier avec ce verset de l’Écriture : Allez-vous-en, et ne péchez plus. » Ils péchèrent néanmoins encore, et le docteur John Balderston, qui succéda au docteur Pechell, montra le même courage. L’université d’Oxford se réunit à celle de Cambridge ; ces deux centres du royalisme devinrent des foyers de révolte, et la cour reçut une nouvelle leçon, dont elle ne sut pas profiter. Tout cela se passait en 1687, et lorsqu’on parle de la vie de Newton, il est impossible d’oublier que, malgré la douceur de son caractère, il a su résister à la tyrannie, qu’il a contribué pour sa part à la délivrance de l’Angleterre : c’est un honneur à la fois pour la science et pour la liberté.

Le courage que Newton avait montré, ses opinions libérales, sa conduite pendant la révolution, plus encore qu’une gloire toujours contestée, le firent nommer membre du parlement en 1689, et « l’on put voir, dit M. Macaulay, siéger dans l’enceinte la figure silencieuse et pensive d’un homme dont le nom est célèbre du Gange au Mississipi. »