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prenait des précautions pour lui écrire et s’informait d’avance si une lettre pouvait lui être remise. Si les biographes n’ont pas vu cela, c’est qu’ils n’ont pas voulu le voir. Enfin il est plus certain encore qu’il a adressé à Locke sur les idées innées une ou deux lettres qu’il n’eût pas écrites en 1665, Il lui a présenté des objections que Dugald Stewart a traitées de puériles, et pour lesquelles on pourrait être plus sévère. Locke semble s’en apercevoir et ne lui répond pas sérieusement ; Newton lui-même enfin, dans une lettre écrite quelques mois après, s’excuse de ce qu’il a pu dire, et avoue qu’il n’en a qu’un souvenir confus. Il reconnaît qu’il a passé quelques mois sans avoir toute la vigueur de son esprit (a consistency of mind). Cette phrase paraît décider la question, et il n’est pas nécessaire d’entrer dans plus de détails. L’esprit de Newton s’est affaibli quelque temps, et il faut convenir que Huyghens n’a pas dit autre chose. C’est par induction que M. Biot est allé plus loin, Newton a vécu jusqu’en 1727, il a occupé des fonctions publiques, il a réimprimé, annoté, perfectionné ses œuvres, il s’est occupé d’une science, la théologie, qui n’était pas nouvelle pour lui, car elle l’avait distrait autrefois de l’astronomie et des mathématiques ; il s’est montré dans ses écrits de ce genre tout au moins ingénieux et instruit : ce ne sont pas là assurément les dernières années d’un esprit altéré. En même temps il faudrait fermer les yeux à la vérité pour nier chez lui un affaiblissement momentané, S’il n’a fait dans sa vieillesse aucune découverte, son jeune âge avait été fécond, et c’est montrer une grande exigence que de lui reprocher de n’avoir pas entrevu un nouveau système du monde ou une nouvelle décomposition de la lumière.


VI

Les années qui ont suivi sa maladie furent surtout employées par Newton à une controverse qui a peu servi sa gloire[1]. L’astronome royal Flamsteed lui avait souvent communiqué des renseignemens Utiles sur l’astronomie pratique, car Newton était peu observateur, et il a mesuré le cours et la forme des astres sans les avoir presque jamais vus. Ses yeux étaient mauvais, peu exacts, et se fatiguaient facilement. Aussi empruntait-il volontiers les observations des autres. Justement convaincu de l’importance de ses travaux, il était parfois exigeant dans ses demandes, et s’irritait quand Flamsteed ne lui répondait pas aussitôt, Celui-ci de son côté, parfois patient et serviable,

  1. An Account of the rev. John Flamsteed, the first astronomer royal, is wich is added his british catalogue of Stars, cortected and enlarged, by Francis Baily. London, 1835.