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comme de l’autre, dans un pays libre comme sous un monarque absolu. J’envie ceux qui savent ne pas douter et qui ont sur de pareilles questions des opinions aussi arrêtées que sur le système du monde ou la composition de la lumière. En ce genre, l’affirmation, même raisonnée, me paraît singulièrement ridicule. Comment ne pas se tromper à cent cinquante ans de distance sur la nature des relations de miss Barton et de Charles Montague, lorsque des contemporains commettent tant d’erreurs touchant ces questions difficiles ?

Miss ou plutôt mistress Catherine Barton (on donnait alors ce titre même aux jeunes personnes) était fille de Robert Barton et de Hannah Smith, demi-sœur de Newton, car on sait que mistress Newton s’était mariée deux fois. Elle était née en 1679, et vint habiter avec son oncle à l’âge de vingt-deux ans. C’était, dit-on, une belle et charmante femme, qui a inspiré de l’admiration à tous les hommes célèbres du siècle depuis Locke jusqu’à Swift, et dans om recueil de vers sur les beautés du temps, miss Barton est le sujet de deux madrigaux assez médiocres, mais très admiratifs. Ses charmes agissaient plus sans doute sur le cœur du poète que sur son esprit. Voici de plus une lettre écrite par le mathématicien Montmort, ancien chanoine, capable d’amour pourtant, car il quitta le fructueux canonicat de Notre-Dame de Paris pour épouser Mlle de Romicourt. Cet extrait montrera comment les indifférens même et les étrangers par laient de miss Barton :


« Ce serait dommage que ce bon vin fût bu par des commis de vos douanes, étant destiné pour des bouches philosophiques et la belle bouche de Mlle Barton. Je suis infiniment sensible à l’honneur qu’elle (Mlle Barton) me fait de se souvenir de moy. J’ai conservé l’idée du monde la plus magnifique de son esprit et de sa beauté. Je l’aimais avant d’avoir l’honneur de la voir comme nièce de M. Newton, prévenu aussi de ce que j’avais entendu dire de ses charmes, même en France. Je l’ai adorée depuis sur le témoignage de mes yeux, qui m’ont fait voir en elle, outre beaucoup de beauté, l’air le plus spirituel et le plus fin. Je crois qu’il n’y a plus de danger que vous lui fassiez ma déclaration. Si j’avais le bonheur d’être auprès d’elle, je serais aussitôt et aussi embarrassé que je le fus la première fois. Le respect et la crainte de lui déplaire m’obligeraient de me taire et de lui cacher mes sentimens, mais, à cent lieues loin et séparé par la mer, je crois qu’un amant peut parler sans être téméraire, et une dame d’esprit souffrir des déclarations sans qu’elle puisse se reproché (sic) d’avoir trop d’indulgence… »


Une personne qui inspire un pareil enthousiasme à un mathématicien n’est pas ordinaire. Il est certain que Halifax la vit souvent chez Newton et qu’il avait du goût pour elle. Était-ce de l’amour ? On sait que Halifax pouvait en ressentir, et en mourant il laissa à miss Barton une fortune considérable, « gage de l’amour sincère, de