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dans la petite ville de Sienne, Mlle Piccolomini est allée à Florence, où elle a débuté, presque sans préambule, dans la Lucrezia Borgia de Donizetti. Son succès y a été si grand, assure-t-on, qu’elle n’a plus eu qu’à choisir entre les engagemens qu’on lui offrait de toutes parts. Elle a parcouru la péninsule en enfant gâtée de la renommée ; mais c’est surtout à Turin que Mlle Piccolomini a trouvé un public enthousiaste de ses qualités. Il appartenait à une ville qui a d’abord méconnu le génie dramatique de la Ristori de se prendre d’une admiration extrême pour la musique de la Traviata, chantée par Mlle Piccolomini. De Turin, la jeune cantatrice est allée à Londres, au Théâtre de la Reine, dont elle a fait les délices pendant une saison entière. On comprend maintenant quelle importance devait attacher l’entrepreneur du Théâtre de la Reine à Londres à voir le succès de Mlle Piccolomini confirmé par le goût parisien. De là l’alliance intime des Anglais et des Italiens pour emporter d’assaut le triomphe de la Traviata et de la jeune cantatrice qui en interprète les beautés. Que faut-il penser enfin de Mlle Piccolomini, et à quel genre de prestige doit-elle la réputation qui l’a conduite à Paris ?

C’est une agréable personne que Mlle Piccolomini, petite, svelte, éveillée et bondissant sur la scène comme une gazelle. Au moindre souffle, on la voit tressaillir. Tout parle en elle : sa physionomie piquante, ses yeux expressifs, ses poses naturelles, ses gestes et jusqu’à ce petit dandinement qu’elle imprime à sa tête charmante. C’est une Italienne, mais une Italienne de race, qui est heureuse de vivre et de jouer la comédie. Sa voix est un maigre soprano, sans étendue, sans flexibilité, et dépourvue de timbre et de rayonnement : on dirait une de ces voix françaises comme il y en a tant à l’Opéra-Comique ; mais elle dit avec tant d’intelligence les moindres paroles qui lui sont confiées, elle chante avec un sentiment si vrai et si distingué, qu’on oublie presque ses défauts. Il ne faut pas analyser avec rigueur le talent de Mlle Piccolomini, mais écoutez-la sans prévention, voyez-la marcher avec grâce eh tournant dans sa main un bouquet de violettes, et laissez-vous faire. C’est une enfant bien douée, qui a besoin de beaucoup apprendre, mais qui n’a rien de vicieux, et qui possède ce je ne sais quoi indéfinissable qui vous attire et vous charme, malgré qu’on en ait. Elle dit avec un entrain de bonne compagnie les couplets du brindisi au premier acte, et elle chante avec une émotion touchante le duo du troisième acte, particulièrement le passage que nous avons déjà cité :

De ’ corsi affanni
Compenso avrai.

Quelles que soient les réserves légitimes qu’on puisse faire sur la voix et le talent de là nouvelle cantatrice, Mlle Piccolomini n’est point une artiste ordinaire, et nous dirons volontiers de cette aimable enfant, comme ma tante Aurore : « Elle est charmante… elle est charmante ! »

Le théâtre de l’Opéra-Comique, ayant pris goût aux œuvres rétrospectives par l’immense succès de Zampa, qu’il aurait dû ménager davantage, vient de reprendre un petit chef-d’œuvre de Boïeldieu, Jean de Paris, composé