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Le moment de l’embarquement, la confusion qui s’ensuit, l’entassement des voyageurs dans le coche de Terracine, sont peints par Horace avec une amusante vivacité. « Les bateliers et les esclaves se disent des injures. — Aborde ici. — Tu en mets trois cents. Oh !... c’est assez... Pendant qu’on paie sa place et qu’on attelle la mule, une heure se passe. » A entendre ces injures échangées, ces cris, à voir la lenteur avec laquelle on procède et le nombre de voyageurs qu’on empile dans le bateau, on dirait qu’Horace a eu affaire à des Romains d’aujourd’hui. Ce qui suit est encore caractéristique des mœurs du pays, et il n’est pas de voyageur en Italie qui ne se rappelle quelque incident pareil à celui qu’Horace va raconter. « Les cruels moustiques et les grenouilles des marais éloignent de nous le sommeil. Les mariniers et les passagers bien abreuvés chantent à l’envi leur maîtresse absente. Enfin, au moment où les voyageurs fatigués commencent à s’endormir, le conducteur paresseux envoie paître sa mule, attache à une pierre la corde de la barque, et, couché sur le dos, ronfle de grand cœur. Le jour était venu, et nous ne sentions pas le bateau marcher. L’un de nous, à tête vive, s’élance, et d’un bâton de saule laboure la tête et les reins de la mule et du batelier. »

Horace excelle dans les détails familiers. Ce n’est pas un touriste cherchant des impressions; il voyage un peu à la manière de Montaigne, nous parlant de ses maux d’yeux comme celui-ci de ce qu’il appelle sa colique. Cependant l’un et l’autre, quand il leur en prend fantaisie, rencontrent des traits qui peignent. Ainsi Horace nous montre par un vers la ville volsque d’Anxur posée sur les rochers blancs qui dominent la moderne Terracine.

Impositum saxis latè candentibus Anxur.


Ce vers n’est-il pas tout un tableau, tracé, comme faisaient les anciens, d’un pinceau sobre et vif?

Mais revenons à Rome. Horace ne nous a pas appris où était sa maison de ville; nous savons seulement qu’elle était sur une hauteur, probablement sur le mont Esquilin, où habitaient Mécène et, non loin de lui. Properce et Virgile. Ce qui est certain, c’est qu’Horace fut enterré dans les jardins de Mécène, gracieuse sépulture qui convenait au poète ami des arbres et des eaux. Elle honore l’homme puissant qui, dans son testament, disait à Auguste : «Souviens-toi de notre Flaccus, » et qui, après avoir accueilli et protégé Horace pendant sa vie, devait encore accueillir et protéger sa cendre quand lui-même ne serait plus. Oui, le souvenir de Mécène mérite d’être associé à celui d’Horace, non pas seulement parce qu’il fut pour lui un protecteur, mais parce qu’il mit de la grâce dans sa protection, encourageant la timidité du jeune homme inconnu qui l’abordait comme