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et conquérantes sur le sol qu’elles occupaient ; elles se rattachaient à des contrées lointaines, elles avaient traversé de vastes espaces, et indiquaient toutes les trois l’Asie comme leur berceau. En effet, elles y avaient et y ont encore des idiomes fraternels, le persan et le sanscrit. Ainsi, par-delà tous les livres, par-delà tous les monumens, les langues signalent des consanguinités, des migrations, des origines sur lesquelles rien autre ne peut nous éclairer. Elles sont pour les âges antéhistoriques ce que sont les fossiles pour les âges antédiluviens : les restes permanens de choses qui furent, des documens difficiles à interpréter, mais dont une critique sagace et sévère peut tirer des notions aussi certaines qu’inattendues.

Ceci est la famille des populations ariennes. C’est d’une autre famille de langues, d’un autre monde philologique, que s’est occupé M. Renan. Les Arabes tiennent une place considérable dans l’histoire du monde : Mahomet est leur prophète, l’islam est leur religion, et, sous l’impulsion religieuse et guerrière qu’ils reçurent, ils portèrent bien loin leurs armes et leurs idiomes. Il fut un temps où l’on parlait arabe en Espagne et en Sicile. Depuis longtemps, le torrent débordé est rentré dans son lit. Toutefois l’arabe, outre la péninsule arabique, est demeuré le parler du Maroc, de l’Algérie, de Tunis, de Tripoli, de la Syrie et de l’Égypte. Laissant de côté l’Afrique, où il a succédé au grec, au latin, sans détrôner le berbère, toutes langues qui n’ont rien de commun avec lui ; laissant de côté aussi l’Égypte, où le copte, également étranger à l’arabe, a disparu, il a remplacé en Syrie le syriaque ou araméen, dont il est le frère. Ce syriaque était devenu la langue commune de la Syrie à l’époque de l’établissement du christianisme. Il avait servi de propagateur à la nouvelle religion, et plus tard d’intermédiaire entre la science grecque et les Arabes, devenus musulmans, puissans, et désireux de cultiver les hautes connaissances. Les œuvres des philosophes, des mathématiciens, des astronomes, des médecins de la Grèce, furent traduites en syriaque et de là en arabe ; mais ce syriaque même, plus ancien que l’arabe, du moins en tant que langue cultivée, était bien plus récent sur le sol qu’il occupait que d’autres idiomes auxquels il avait succédé, à savoir ceux des Hébreux, des Tyriens, et peut-être aussi (du moins bien des signes paraissent l’annoncer) de Babylone et de Ninive. Toutefois la chaîne n’est pas interrompue, et du syriaque à l’hébreu la communauté radicale est incontestée.

Si l’on considère ces langues dans le temps, voici comment elles se présentent : elles sont sans doute les unes et les autres également anciennes, mais elles ont commencé à jouer un rôle littéraire à des époques très éloignées, L’arabe, à ce titre, est le plus moderne ; il n’a commencé à être écrit que par Mahomet et après Mahomet. On ne possède, du temps qui précéda immédiatement le prophète, que