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vivante : il ne manque jusqu’ici que l’historien. S’agit-il, par exemple, de la mort tragique du Taciturne ? Les moindres circonstances du crime sont expliquées, commentées par la vue drs lieux et des objets que l’esprit conservateur des Hollandais a sauvés de l’oubli. Tout cela donne la physionomie des faits. Le lieu de la scène est à Delft, dans un vieux bâtiment massif avec des fenêtres cintrées, une porte étroite et un bas-relief de style bourgeois au-dessus de la porte. Cette maison, dont on a fait une caserne, a conservé le nom de Prinsenhof (cour du prince). C’était la résidence du prince d’Orange. Le prince ce jour-là venait de dîner. On peut suivre de l’œil le chemin qu’il parcourut à travers une cour qui conduit à un antique escalier dans le goût flamand. Là se tenait caché l’assassin. Une inscription hollandaise vous dit sur quelle marche de l’escalier le père de la patrie tomba. Des traces sur le mur vous indiquent où les balles ont frappé. Le coup de feu fut nécessairement tiré à bout portant. La balle de plomb extraite de la blessure est conservée au musée de La Haye avec l’habillement que portait ce jour-là le prince d’Orange, un simple pourpoint de cuir, taché de sang, percé par les balles, et qui porte encore la trace de la poudre. Vous pouvez suivre la fuite de l’assassin Balthazar Gerards : voici, derrière la maison du Taciturne, les remparts qu’il escalada et le canal qu’il se proposait de traverser à la nage. En face de l’habitation du prince d’Orange s’élève une vieille église, et au-dessus de cette église une tour qui penche. La tour est surmontée au sommet par quatre cônes de pierre. L’église, d’une architecture sévère et dont les lignes ont été effacées par le temps, semble comme attristée par le souvenir d’un crime[1]. C’est dans une des chambres de cette tour séculaire que fut enfermé Gerards pendant la nuit qui suivit l’assassinat. La copie de la sentence par laquelle il fut condamné à mort se trouve au musée de La Haye. J’ai vu à Delft la salle dans laquelle fut transporté le prince d’Orange blessé. Dans cette salle sombre et morose, je crus entendre les dernières paroles du Taciturne : « Mon Dieu, mon Dieu, ayez pitié de moi et de mon pauvre peuple ! » Il expira dans les bras de sa sœur et de sa femme, la fille de Coligny, qui avait déjà vu son père tué d’une manière semblable à la Saint-Barthélémy[2].

Après la mort l’apothéose. Comme il arrive souvent, l’assassin

  1. Il y a deux ou trois années, un libraire de La Haye acheta à une vente publique la confession de Balthazar Gerards, qualifiée d’authentique et d’autographe. Cette pièce, qui a donné lieu à beaucoup de discussions historiques entre les savons de la Hollande et de la Belgique, a passé dans les archives de ce dernier royaume.
  2. La maison de Louise de Coligny est à La Haye sur le Plein ; on en a fait le ministère des colonies.