Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en forçant cet élément de désordre ou de destruction à devenir sous leur main une source d’abondance, de mouvement et de fertilité agricole. Au milieu de ce luxuriant paysage, où tout croît, prospère, chante, vit, rayonne, un être souffre : l’homme. On s’aperçoit bientôt que le narrateur a voulu faire ressortir le contraste amer qui existe entre les bontés de la nature et les maux qu’engendre l’esclavage. La population esclave ou métisse est environ de quarante mille âmes. La race éthiopienne oppose aux lois meurtrières de l’asservissement sa fécondité, sa douceur, son caractère insouciant et enjoué ; cependant elle décroît à Surinam depuis l’abolition de la traite. M. van Hoevell réfute l’opinion soutenue par quelques voyageurs que le nègre accepte l’esclavage, qu’il ne conçoit rien au-delà, que la liberté même lui fait peur, et cette opinion, il la réfute par des faits.

Une foule de noirs transplantés des côtes de l’Afrique dans les établissemens de Surinam eurent le courage de se soustraire à la domination de leurs maîtres. Ils pénétrèrent successivement dans les forêts, y formèrent peu à peu des villages, et cultivèrent le sol. Les fruits de cette culture, joints aux produits de la chasse et de la pêche, leur assurèrent une existence chétive, mais indépendante. L’exemple fut contagieux, la désertion s’accrut. Les nègres affranchis par la fuite, se sentant à leur tour les plus forts, ne se contentèrent bientôt plus du repos égoïste que leur offraient les solitudes du Nouveau-Monde. Ils nouèrent des relations avec leurs frères soumis encore à l’esclavage, et, après avoir fait de vigoureuses incursions sur les domaines qu’ils avaient quittés, emmenèrent avec eux les esclaves dans leurs retraites impénétrables. Le gouvernement néerlandais jugea à propos d’intervenir. Ce fut une guerre longue, ruineuse, à peu près inutile. Ayant découvert quelques-uns de leurs villages entre la Saramacca et la Surinam, on les anéantit ; mais la campagne coûta cher, et les nègres, repoussés plus avant dans les solitudes, en sortaient de nouveau pour reprendre leurs habitations, dès que les troupes s’étaient éloignées. L’autorité se résigna donc à une transaction. Par une convention solennelle, le gouvernement néerlandais céda aux esclaves fugitifs la partie intérieure et inhabitée de la colonie. Il leur accorda la permission de venir par groupes déterminés à Paramaribo pour y faire le commerce, et il s’engagea même à leur distribuer tous les quatre ans des cadeaux de poudre, d’armes, de toiles et de couteaux. Depuis la déclaration de leur indépendance, ces anciens esclaves se sont formés en trois tribus distinctes. Chacune de ces tribus obéit à un chef ou granam, qui porte un uniforme militaire ainsi qu’un bâton avec une pomme dorée. Sur tous ces insignes sont marquées les armes des Pays-Bas. On évalue le nombre des nègres libres à huit mille. Les nègres forestiers se distinguent des nègres des plantations par une constitution physique