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même devenait auguste. Quand il le fut, il s’effraya à bon droit de ce qu’il avait promis. Les trois fils d’Aspar, Ardabure, Patricius et Hermenaric, joignaient à leur qualité de barbares celle d’ariens, d’ariens passionnés, quoique médiocrement convaincus, et d’autant plus suspects, soit au peuple de Constantinople, soit au clergé catholique. Leur élévation au rang de césar devait rencontrer dans la métropole surtout une opposition qu’il serait dangereux de braver ; puis lequel choisir des trois ? Ardabure, l’aîné, avait la réputation d’un soldat courageux et d’un général habile ; mais il était cruel, plein d’un mépris hautain pour les croyances romaines et cynique dans son impiété. On raconte qu’un jour, dans un accès de gaieté féroce, il banda son arc contre le vénérable Stylite Siméon, et fit mine de tirer le saint sur sa colonne comme on tire un oiseau au vol. Un pareil sacrilège ne pouvait pas être césar, et Hermenaric, le troisième des frères, n’était encore qu’un enfant. Voilà les objections que faisait Léon, Quant à Patricius, ce choix présentait moins d’obstacles, soit qu’il eût quelques bonnes qualités, soit qu’il ne fût barbare qu’à moitié, ayant eu pour mère une Romaine, comme semble l’indiquer son nom latin. Léon, sans vouloir nier l’engagement qu’il avait pris, l’éludait sous mille prétextes, et promenait Aspar de délai en délai, balancé entre le remords de sa conscience et sa répugnance légitime à une action qu’il jugeait mauvaise pour la religion et pour lui-même. Aspar, se croyant joué, sommait avec hauteur le prince de payer une dette sacrée, et l’on dit qu’un jour, saisissant le manteau impérial que portait Léon, il s’écria : « Il n’est pas vraisemblable que celui qui revêt cet habit veuille manquer à sa parole ! — Non, répartit vivement Léon, mais il ne l’est pas davantage qu’il se laisse forcer et traiter comme un valet ! »

Au fond, la conscience de l’empereur devait l’emporter sur la politique, car il se croyait obligé, quelles qu’en pussent être les conséquences, à l’acte qui lui répugnait tant. Il essaya de faire reculer Aspar en exigeant pour suprême condition que Patricius, dont il ferait choix comme césar, abjurerait l’arianisme. S’il supposait que des ariens en apparence si zélés refuseraient une pareille condition, il se trompait, elle fut acceptée. Poussé alors dans ses derniers retranchemens, Léon parla de fiancer Patricius à sa seconde fille, Léoncie, qui était encore un enfant : c’était un nouveau retard qu’il gagnait malgré ses scrupules ; mais en attendant les fiançailles de Léoncie, il maria sa première fille, Ariadne, qui n’était point née dans la pourpre, comme disaient les Grecs, parce qu’il l’avait eue avant son principat, il la maria, disons-nous, à un Isaurien très considérable dans son pays et qui disposait à son gré de ce petit peuple turbulent, belliqueux, le seul des peuples d’Orient qu’on pût opposer aux fédérés barbares. Il fut évident pour tout le monde, pour Aspar surtout,