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et aimable fille qu’elle avait été pendant sa vie ; sa mort a un autre caractère que celle d’Emilie, mais elle n’est pas moins remarquable : elle frappe par le calme et l’absence de toute émotion bruyante.


« À sept heures du matin, elle se leva et s’habilla presque entièrement elle-même, ainsi qu’elle en avait manifesté le désir. Sa sœur lui cédait toujours sur ces points-là, pensant qu’il était d’une véritable affection de ne pas insister sur l’état de faiblesse physique, lorsque la malade ne s’en plaignait pas. À onze heures, elle se plaignit d’éprouver un changement ; elle pensait, dit-elle, qu’elle n’avait pas longtemps à vivre. Aurait-elle le temps d’arriver à la maison, si on partait immédiatement ? On envoya chercher un médecin. Elle lui parla avec une parfaite tranquillité ; elle le pressa de lui dire combien de temps il croyait qu’elle eût à vivre ; il ne devait pas craindre de dire la vérité, car elle ne craignait pas de mourir. Le docteur déclara malgré lui que la mort était proche. Elle le remercia de lui avoir dit la vérité…. Elle joignit les mains et implora avec dévotion les bénédictions d’en haut, d’abord pour sa sœur, puis pour son amie, à qui elle dit : « Soyez une sœur à ma place. Accordez à Charlotte autant que vous le pourrez la faveur de votre société. » Puis elle les remercia l’une et l’autre pour leur tendresse et leur affection.

« Peu de temps après, les convulsions de l’agonie, qui s’approchait, commencèrent, elle fut portée sur un sopha, et comme on lui demandait si elle se sentait mieux, elle regarda avec reconnaissance celle qui la questionnait, et dit : « Ce n’est pas vous qui pouvez me donner la paix ; mais j’espère la goûter bientôt par la grâce de notre Rédempteur. » Quelques instans après, voyant que sa sœur pouvait à peine contenir sa douleur, elle dit : « Prenez courage, Charlotte, prenez courage. » Sa foi ne l’abandonna pas, et son œil ne s’obscurcit pas jusqu’à deux heures de l’après-midi, où elle passa, sans un soupir, de ce monde dans l’éternité. C’est dans cette tranquillité religieuse que s’écoulèrent ses dernières heures. Il n’y eut besoin d’avoir recours à aucune assistance, il n’y eut aucun moment de terreur. Le docteur vint et sortit plusieurs fois. L’hôtesse savait que la mort était proche, et cependant la maison fut si peu troublée par la présence de la mourante et l’expansion du chagrin des personnes affligées de sa perte, qu’on annonça le dîner, par la porte entr’ouverte, au moment où Charlotte fermait les yeux de sa sœur. »


Tant de douleurs doivent avoir brisé l’âme de Charlotte. L’avenir n’est pas non plus souriant pour elle. Combien le presbytère est maintenant morne, silencieux et froid ! Il n’est plus habité que par des ombres. La solitude triomphe, complètement grâce à la mort, et cependant la maladie refuse de s’éloigner d’Haworth. M. Brontë, qui était guéri de son ophthalmie, souffrait alors d’une bronchite. Charlotte elle-même était déjà souffrante. N’importe, elle lutte encore, et espère triompher de la destinée. Lisez cette admirable lettre écrite un mois après la mort de sa dernière sœur :


« 14 juillet 1849. Je n’aimerais pas beaucoup à vous parler de moi. Je ferais