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par une vie commune à quelques égards, certaines jouissances de luxe sont accessibles à tous, chacun devient propriétaire, et le palais de famille est le symbole du progrès. L’arrêt en forme est prononcé contre ces vieilles maisons où on vivait seul, retiré, et qui étaient par le fait « les symboles de l’ignorance, de l’égoïsme ou de la barbarie des siècles écoulés, » après quoi l’auteur demeure persuadé que cette idée si simple et si grandiose, qui eût semblé une utopie il y a vingt ans et un danger il y a dix ans, est désormais sous le patronage de l’opinion publique.

Le palais de famille, qui est ici le dernier mot du progrès, a cependant à craindre une sérieuse rivalité, c’est celle des cités de chemins de fer, invention du même genre d’un autre écrivain préoccupé des souffrances économiques actuelles. Il n’est point vraiment facile de saisir l’idée de l’auteur ; pourtant, en cherchant bien, on pourrait sans doute arriver à une conclusion, c’est que jusqu’ici les chemins de fer ont été faits pour relier les villes et les centres importans de population, tandis que désormais le système habitable doit se renouveler pour s’adapter aux chemins de fer eux-mêmes. Quelle est en effet la conséquence de cette activité, de cette rapidité des communications contemporaines ? L’homme se mobilise en quelque sorte, comme la propriété, comme tout le reste ; dès-lors le vieux système tombe, les villes et les villages disparaissent comme n’étant plus en harmonie avec la vie nouvelle. Il ne s’agit plus que d’élever aux abords des gares d’immenses cités ouvertes aux populations errantes de voyageurs comme aux populations sédentaires. Le monde se composera, en un mot, d’une multitude d’hôtelleries gigantesques reliées entre elles par les chemins de fer. Une notable partie des frais de la vie individuelle est supprimée : d’où il suit manifestement que les cités de chemins de fer sont le remède infaillible pour soulager les classes qui souffrent de l’état présent de transition, qui ne peuvent qu’à grand’peine se loger, se vêtir et se nourrir.

On n’est point à remarquer sans doute que si toutes ces recettes merveilleuses, tous ces systèmes surprenans sont la chimère d’esprits assez peu préparés à donner des consultations sociales, ils constatent un mal intime et profond néanmoins, et de plus ils indiquent de singulières tendances, un singulier travail moral. C’est à qui écrira l’épitaphe de tout ce qui a existé, des vieilles institutions, des vieilles mœurs, et même des vieilles maisons, sans compter les vieilles vertus. Toutes les combinaisons partent de cette hypothèse, que des sociétés anciennes il ne reste plus rien, et que nous entrons dans un monde où tout doit se renouveler. Or quelle est l’unique loi de ce monde où il semble parfois qu’un vent mauvais nous pousse, et où l’ame humaine plus fière se refuse à entrer ? C’est le bien-être, la vie facile, l’argent, enfin qui résume tout. L’argent ! c’est aussi le titre d’un opuscule bizarre écrit par un homme de lettres devenu homme de bourse. L’auteur se joue-t-il ironiquement dans son sujet ? écrit-il sérieusement ? Si l’ironie est involontaire, elle n’est que plus curieuse. Toujours est-il que ce petit livre est un hymne à la fortune, chanté dans le temple de la richesse moderne, la Bourse. C’est l’argent qui est le vrai but de la vie. La pauvreté n’est qu’une triste pleureuse qui énerve et assombrit le monde, et que les poètes ont le tort d’honorer. L’argent est le grand créateur, c’est lui qui donne l’indé-