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III

Quelques mots seulement sur les principes : ils ont été tant débattus qu’ils n’ont plus besoin d’être commentés, et qu’aujourd’hui la meilleure démonstration à en donner, c’est de les réduire à leur plus simple expression.

Que l’assistance publique ne suffise pas au soulagement de la misère, ceux-là seuls le contestent et peuvent le contester qui font de l’assistance publique un droit absolu pour le pauvre, un devoir strict pour l’état, n’importe à quel prix. À ceux-là seuls il est permis de traiter légèrement la charité privée et de lui dire : « Nous n’avons pas besoin de toi. » Hors de ce système, que des rêveurs, honnêtes ou pervers, peuvent soutenir, dans lequel on s’est quelquefois engagé plus avant que bientôt on n’eût voulu l’avoir fait, mais qui n’a jamais été et probablement ne sera jamais rigoureusement appliqué ; hors de ce système, dis-je, c’est la charité privée qui de l’aveu général est placée en première ligne pour le soulagement de la misère. Des hommes très éclairés ont même posé en principe et fait admettre en règle dans des pays bien gouvernés que l’assistance publique ne devait paraître qu’accidentellement et seulement lorsque la charité privée, ayant épuisé son zèle et ses ressources, devenait évidemment insuffisante.

Que la charité privée soit essentiellement religieuse et chrétienne, il faudrait avoir bien peu de connaissance du cœur humain et de l’histoire des sociétés humaines pour le contester. Avant le christianisme, quelques philosophes et quelques poètes avaient entrevu la sympathie active et dévouée de l’homme pour tout homme, au seul titre de leur nature commune, comme un bel éclair de vérité ou d’émotion morale ; le christianisme seul en a fait un sentiment permanent et populaire, sentiment qui découle nécessairement, dans la foi chrétienne, de la situation redoutable et pareille que cette foi fait à tous les hommes, les uns devant les autres comme devant Dieu, dans le temps et dans l’éternité. Il ne faut rien moins que la dignité profonde et la misère profonde que reconnaît dans tous les hommes le dogme chrétien de la création, de la chute et de la rédemption, pour susciter et entretenir cette commisération fraternelle et infinie qui enfante les élans sans cesse renaissans et les infatigables efforts de la charité. Hors de cette foi vous pourrez voir régner dans les rapports des hommes la justice, l’humanité, les mœurs douces ; la philanthropie pourra avoir de généreux et salutaires accès de zèle : vous n’aurez pas cette charité ardente, expansive, communicative, féconde, que rien ne dégoûte, ne lasse et n’épuise,