Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/526

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Considérée au point de vue politique, la Grèce ancienne nous a offert ce spectacle, unique dans l’histoire, du rassemblement sur un étroit espace d’un grand nombre de petits états parfaitement distincts les uns des autres. Une des causes principales de ces agglomérations singulières est la disposition de ses montagnes en forme de réseau. Les chaînes, en se rejoignant entre elles, ont isolé plusieurs plaines qui sont devenues chacune le centre d’un peuple. Ainsi les plaines de la Béotie, de l’Attique, de la Mégaride, de la Corinthie, de l’Argolide, de la Laconie et de Mantinée, qui nourrirent des peuples si différens, étaient, malgré leur extrême rapprochement, complètement séparées les unes des autres par la disposition physique du pays. Les montagnes qui les entouraient formaient des barrières presque inaccessibles à une armée, et quelques soldats énergiques suffisaient pour les défendre contre des troupes nombreuses. Ces montagnes étaient généralement stériles, elles ne tentaient pas la cupidité des cultivateurs, et elles mettaient entre les terres arables des intervalles assez grands pour que des discussions ne pussent être soulevées sur les limites.

On conçoit que des peuples forcés de tirer leur richesse de pays ainsi limités, n’ayant point d’espérance de s’étendre beaucoup au-delà, durent s’y attacher de toute leur puissance. À l’origine, Sparte était tout pour un Spartiate, comme Argos pour un Argien, Thèbes pour un Béotien. Sans doute les guerres et le commerce maritime agrandirent successivement les relations de la plupart des états grecs, particulièrement du peuple athénien : cependant l’influence qu’exerça le réseau des montagnes de la Grèce sur sa séparation en états distincts est si réelle, qu’aujourd’hui encore les bassins qui furent le berceau de ces différens états ont peu de relations les uns avec les autres. Par suite de la multiplicité des chaînes de montagnes, les communications sont très difficiles[1]. Thèbes ne se doute

  1. C’est là une des causes qui peuvent retarder les progrès de la Grèce : Athènes met plus de temps pour faire parvenir par voie de terre ses ordres au centre du Péloponèse qu’il n’en faudrait pour franchir des distances trois fois plus considérables en pays de plaine. Les brigandages s’expliquent en partie par la difficulté de parcourir librement le pays et de poursuivre les klephtes dans les régions montagneuses. Dès l’antiquité, cette difficulté exista. Lorsque les Athéniens reçurent en triomphe Thésée entrant dans leur ville, ils lui dirent : « Si le laboureur cultive en paix les champs de Cromion (territoire de Corinthe), il le doit à ton courage… La terre d’Épidaure t’a vu renverser le fils de Vulcain (Périphètes)… Par toi, Procuste a cessé d’effrayer les champs qu’arrose le Céphise… Tu délivras Eleusis du farouche Cercyon… Tu purgeas l’isthme du brigand Sinis… Par toi, la mort de Sciron a rendu libre au voyageur le chemin de Mégare. » J’ai vu tous les lieux que je viens de nommer ; les montagnes qui les entourent, boisées et difficilement accessibles à cause des déchirures des roches calcaires dont elles sont formées, sont encore aujourd’hui, comme dans les temps anciens, des repaires où les malfaiteurs trouvent l’impunité. Il faut tenir compte des difficultés locales lorsqu’on reproche au gouvernement grec sa lenteur à faire cesser les brigandages.