dire être à eux, et deviennent taillables au bon plaisir de leur maître… Tous les habitans du royaume sont déclarés taillables au gré du roi par les généraux des finances, et de fait ils sont horriblement taillés (de factoque immanissimè talliantur), personne n’osant s’y opposer ni dire mot. »
Les envahissemens des légistes et des juges royaux étaient aussi, pour les hommes libres de ce temps, un objet de répulsion, de plaintes continuelles et d’animosité. Là en effet comme dans tout le reste, par une triste condition de notre nature, les abus pullulent dès l’origine plus vite que l’usage ne se développe, et quelquefois ils l’étouffent. Les institutions les plus utiles ne naissent point avec leurs règles toutes faites ; elles ne trouvent point dès leur apparition les instrumens ni les organes qui leur seraient nécessaires. Les légistes, en substituant des formes qui devaient être protectrices aux procédés sommaires et arbitraires des justices féodales, avaient fondé au profit des faibles des garanties empruntées au droit ecclésiastique et au droit romain ; mais dans les tribunaux inférieurs et dans les lieux écartés, ces formes étaient devenues des pièges qui enveloppaient les fortunes et ruinaient les familles. En introduisant la raison écrite dans les coutumes, ils avaient préparé l’unité civile ; en ramenant à la royauté tous les fils de l’immense réseau des lois et de la police, ils établissaient la notion de l’état dominant tout et appartenant à tous ; en supposant et en alléguant sans cesse des lois fondamentales, ils liaient la royauté elle-même, lui étaient son caractère personnel, et la fixaient en quelque sorte comme un principe immuable. Seulement, par cette fiction plus spécieuse pour la théorie que dans la pratique, par cet arcane de gouvernement dont ils se réservaient à eux-mêmes l’interprétation souveraine, ils remettaient au roi un droit divin sans pouvoir le faire dieu, ils revêtaient d’une majesté usurpée la médiocrité, l’ignorance, les passions, et confisquaient toute la spontanéité nationale au profit d’un homme, de ses ministres, trop souvent de ses corrupteurs. Basin leur reproche d’envahir tous les droits, d’opprimer riches et pauvres, nobles et clergé, et de tout prendre pour le roi. Ce qu’il y avait de plus effrayant dans cette contagion d’un principe servile, dont il était si aisé de préjuger les conséquences, c’est que par un mouvement général il se déclarait partout ; il était comme le mot d’ordre de la concentration monarchique dont l’Europe offrait le spectacle. Pour bien comprendre à quel degré d’humiliation il aurait réduit les peuples, si, dans une civilisation chrétienne issue des républiques antiques, il avait pu pousser d’assez profondes racines pour épuiser le sol autour de lui et faire sécher sur pied toutes les puissances « opposites, » on n’a qu’à lire une allocution de Charles