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quelquefois, elle n’avait point un principe essentiellement anarchique : elle était ordinairement conduite par les grandes associations dont se composait l’état, tantôt la noblesse, tantôt les corps municipaux, les chefs d’une province, les universités mêmes, les corporations de métiers. C’est ce qui explique pourquoi le bon évêque attaque avec si peu d’hésitation le redoutable problème, et le résout en vrai ligueur du bien public, appelant d’ailleurs à son secours tout ce qu’il sait d’antiquité sacrée et profane, invoquant à la fois Salluste et le psalmiste, Cicéron et Moïse. Est-il permis, lui demandait-on, aux sujets, aux vassaux du roi, de prendre les armes contre lui et de le ramener par force dans la bonne voie ? À cette question il répond par une autre : « Si le maître du navire, par ignorance ou par méchanceté, le dirige sur des écueils, faut-il le laisser faire ? Je doute que personne soit assez insensé pour soutenir qu’en ce cas il ne soit pas permis de lui arracher le gouvernail pour sauver les passagers, et même de l’enchaîner au besoin, et de faire pis encore[1]. Quand donc la foule immense d’un peuple libre voit son chef gouverner contre les lois, dépouiller les citoyens selon son bon plaisir, enlever à l’église sa liberté, marier les filles contre le gré de leurs parens, violenter la justice, condamner sans procédure légitime, pourquoi les grands et les principaux de l’état ne pourraient-ils point s’assembler, avertir l’insensé, et, s’il méprise leurs avis et ajoute de nouveaux crimes à ses crimes, réprimer, je ne dis pas ce roi, mais ce tyran, cette bête sanguinaire, et opposer à ses excès un mur de défense pour la maison d’Israël ? Je crois donc qu’alors, c’est-à-dire lorsqu’il n’y a pas d’autre remède et que la nécessité est urgente, les sujets peuvent raisonnablement rabattre l’impiété ou la tyrannie d’un roi ou d’un empereur. Quand tout droit humain est sans force, nul homme de bon sens ne niera qu’il ne soit licite d’en appeler au droit naturel de repousser la violence. Ceux qui, dans cette confusion des choses et ce tourbillon d’iniquités, ne voulant pas que leur patience muette et endormie en paraisse complice, recourront à une telle extrémité pourront sans doute, si leur sort le veut, mourir pour la justice et pour la liberté, mais ils mourront plus glorieux et plus respectés que s’ils prolongeaient leur vie dans leur patrie esclave. » Il y a du girondin dans ce morceau ; on croit entendre l’emphase de 92 ; même audace, même imprudence téméraire à toucher aux problèmes que Dieu seul résout par le fait, et, avec des raisons superficielles, effleurant l’insondable.

  1. Vincire et compedibus constringere, vel majore etiam severitate coercere.