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quelques présens : ils ne voulurent rien entendre, et comme l’interprète redoutait de se charger d’une mission trop périlleuse, M. Baikie, qui en toute occasion ne fit pas moins preuve de prudence que de fermeté, rebroussa chemin. Il apprit que les accidens tels que celui dont il venait d’être témoin étaient fréquens, et jugea qu’ils ne tiraient cependant pas à conséquence, car il vit, peu de jours après, des Mitshi revenir comme d’habitude à Ojogo. Un de leurs chefs, interrogé sur le motif de la querelle, répondit qu’il l’ignorait, et que si l’on n’avait pas laissé aborder les blancs, c’est qu’on croyait qu’ils venaient au secours de leurs amis d’Ojogo.

Au 4 septembre, les messagers ne revenant pas, on se remit en route. En interrogeant de nouveau l’homme qui prétendait avoir vu des blancs à Keana, M. Baikie avait reconnu que la traduction fautive d’une expression l’avait induit en erreur : ce n’était pas depuis six jours, mais depuis six semaines, que ce naturel avait quitté Keana, lorsque les Anglais avaient atteint Ojogo. En quittant Ojogo, la Pleiad côtoya les terres du Korofora, puis celles de l’Hamaruwa, pays gouverné par un sultan de la race belliqueuse des Fellatahs. Ce souverain est le troisième qui occupe le trône depuis la conquête des Pulos ou Fellatahs. Antérieurement à l’invasion, plusieurs races se partageaient le pays, et quelques-unes d’entre elles conservent encore une demi-indépendance. Les divers cantons paient au sultan d’Hamaruwa un tribut annuel, consistant en esclaves, et dont le chiffre paraît varier entre 30 et 40.

Le révérend M. Crowther fut député au chef d’Hamaruwa. Les formalités exigeaient trente jours de délai avant la réception ; mais le souverain, impatient de voir l’étranger, voulut bien passer par-dessus l’étiquette. M. Crowther, selon une habitude dont il ne se départait pas, sollicita l’autorisation d’envoyer en Hamaruwa des missionnaires pour convertir et moraliser les indigènes. Le sultan répondit qu’il n’y voyait pas d’inconvénient, mais que ses sujets idolâtres étaient tellement sauvages, qu’il ne pensait pas qu’on en pût jamais rien faire. Quant au voyage, avant d’en autoriser la continuation, il prétendit qu’il fallait prendre à Sokoto les ordres du sultan, son suzerain. En attendant, il permit de descendre à terre et de faire le négoce.

La ville est située à 16 milles dans l’intérieur des terres. M. Baikie s’y rendit, non sans peine, au milieu de marais et de fondrières où aucun chemin n’avait été tracé. Aussitôt qu’il parut, une grande foule l’environna ; on considérait avec étonnement son teint blanc et ses vêtemens. Sa boussole excita par-dessus tout l’admiration, quand on vit qu’à l’aide de ce petit instrument il pouvait fixer avec précision la position de tous les pays qu’il avait traversés. Un des plus savans mallams de la contrée, qui avait fait le voyage de la Mekke, car tous, les Pulos de ce pays sont de zélés musulmans, pensa le jeter dans l’embarras en lui demandant s’il avait entendu parler de la Mekke et de Stamboul, et s’il saurait en fixer la position ; mais une femme enceinte qui se trouvait là le pria de cacher cet instrument dans la crainte qu’il ne portât malheur à son enfant. Les signes d’écriture n’excitaient pas moins la curiosité ; on lui demanda de tracer quelques caractères. Le docteur écrivit sur un morceau de papier Hamaruwa, 25 septembre 1854, et le donna à l’un des chefs ; mais tous voulurent en avoir. Il divisa alors son papier et en distribua les fragmens aux naturels, qui les considéraient comme des amulettes.