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portée à l’emphase, lui faisaient prendre au tragique des mesures de police assez simples : le gendarme le plus inoffensif était pour lui un sbire altéré de sang. Quelques maladresses commises par des subalternes le mirent hors de lui et lui firent envisager le nouveau régime comme une épouvantable tyrannie. Les insurrections républicaines de 1832 et 1833 achevèrent de lui ôter le sens. La répression des émeutes amena de ces violences auxquelles les meilleurs gouvernemens ne peuvent se soustraire. C’est toujours un triste rôle que celui de la répression ; on n’y paraît jamais à son avantage, et il y a quelque chose d’injuste à reprocher à un gouvernement comme des inhumanités les rigueurs auxquelles on l’a forcé. Ce qu’il y a de singulier, c’est que plus un gouvernement est honnête, moins on lui pardonne en ce sens : dat veniam corvis, vexat censura columbas. Lamennais, qui avait trouvé tout simple que la restauration se défendît contre le parti libéral, ne pouvait pardonner au parti libéral de se défendre contre le parti ultra-révolutionnaire. Descendant la vallée du Rhône au milieu de ces mouvemens, il fut l’objet de précautions qui l’exaspérèrent et ne lui laissèrent voir partout que des mares de sang. Là est le vrai moment de sa conversion. Le parti légitimiste presque tout entier obéit au même sentiment, et telle est l’origine du mouvement qui a rattaché à la cause démocratique un certain nombre d’individualités distinguées de ce parti.

Le changement de front par lequel Lamennais passa du catholicisme le plus exagéré à la démocratie la plus ardente n’a donc rien qui doive surprendre. Son imperturbable dialectique l’entraînait vers les thèses tranchées et absolues : le catholicisme ou la démocratie pouvaient seuls la satisfaire. Le catholicisme lui ayant déclaré l’alliance de ces deux causes impossible et l’ayant sommé de choisir, il ne demanda plus qu’à la démocratie ce qui fut toujours son premier besoin, une thèse héroïque et grandiose pour laquelle il pût combattre et souffrir. Comme tous les esprits violens, le parti qu’il détestait était celui de la modération. Son besoin de s’indigner, le vif sentiment d’humanité et de justice qui l’animait, les liens qui s’établissent entre tous ceux qui sont ou se croient victimes d’un même pouvoir, l’entraînaient également vers le parti républicain. Ses rêves de perfection, qui le reportaient vers les premiers temps du christianisme comme vers un idéal, lui faisaient envisager la persécution comme le signe le plus sûr de la vérité ; aussi voulait-il, toujours être avec ceux qui souffrent. Enfin un fonds touchant de bonté et de compassion, qu’il avait toujours gardé sous sa robe de prêtre, et qui se révéla chez lui par des retours de vive tendresse, donnait à ses yeux un charme pénétrant à ce qu’il y a de pur et d’élevé dans les sentimens populaires. Le peuple représentant les instincts