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droit, n’avaient pas complètement oublié la vérité, puisqu’elles faisaient une part à l’imagination. Aujourd’hui la seule faculté qu’on invoque s’appelle mémoire. Les sculpteurs de notre temps, je parle du plus grand nombre, sont arrivés, à leur insu, à la négation de l’art. Cependant leur condition ne serait pas mauvaise, s’ils consentaient à ne voir dans ce qu’ils savent qu’un point de départ pour parvenir à l’expression de ce qu’ils sentiront, de ce qu’ils penseront. La mémoire mise à la place de l’imagination fait de la sculpture un métier : l’étude du modèle vivant, quoique très insuffisante au point de vue esthétique, est une manière excellente de se préparer à l’intelligence d’Athènes. L’école antique, si admirable par la grandeur, par la simplicité, accordait une grande importance à l’imitation ; seulement elle en faisait le point de départ, et non le but de la sculpture. Que les artistes de nos jours se règlent sur la conduite des artistes athéniens, qu’ils s’habituent à copier ce qu’ils voient, mais qu’ils gardent pour eux-mêmes comme de simples documens ce qu’ils auront copié, et quand, par la méditation, par la lecture des poètes, ils seront parvenus à concevoir une œuvre puissante et personnelle, l’imitation leur sera un utile auxiliaire.

La notion de la sculpture vraie, l’intelligence des lois qui la régissent, sont aujourd’hui tellement obscurcies, que les sculpteurs ne craignent pas d’engager la lutte avec les peintres, comme si la peinture et la sculpture disposaient des mêmes ressources. Dans un bas-relief, on ne tient plus compte du nombre des plans que le regard peut embrasser ; on veut faire ce que ferait un peintre en pareille occasion, et l’on néglige de se demander si le marbre et le bronze, qui expriment la forme tangible, ne sont pas soumis à d’autres conditions que la toile, qui exprime la forme visible. C’est un parti pris qui blesse le bon sens, mais qui réunit malheureusement de nombreux approbateurs. La sculpture ainsi conçue s’appelle modestement sculpture pittoresque. Or cette dénomination, réduite à sa juste valeur, signifie sculpture en dehors de la sculpture. Au début de notre siècle, on se plaignait à bon droit des habitudes imposées à la peinture française par l’école de David. On réprouvait, et l’on avait raison, l’imitation des statues sur la toile. Ces plaintes étaient légitimes, et cependant on ne songe pas à trouver mauvais que l’ébauchoir engage la lutte avec le pinceau. La question vaut la peine qu’on s’y arrête, car chacun est compétent ou incompétent selon la manière dont il la résout. Ceux qui croient que la sculpture peut tenter ce que tente la peinture, et qui l’avouent sans détour, proclament à leur insu leur complète incapacité dans tous les problèmes qui se rattachent à la sculpture. Ceux qui maintiennent le divorce établi entre les deux arts depuis les premiers développemens de l’imagination