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explication. Un groupe d’Héro et Léandre, groupe amoureux et passionné, serait sans obscurité pour ceux mêmes qui n’ont jamais lu le poème de Musée ; Héro seule ou Léandre seul se comprennent difficilement. L’amant qui guette le signal, la jeune fille tenant sur sa tête la lampe allumée dont la lueur fidèle doit amener dans ses bras l’amant séparé d’elle par la largeur de l’Hellespont, ne sont que des fragmens de composition. La figure modelée par M. Guitton n’est pour le grand nombre des spectateurs qu’un berger qui cherche à se garantir de l’ardeur du soleil. Ainsi le mouvement n’est pas vrai, et lors même qu’il serait vrai, il ne suffirait pas à expliquer le sujet. Toutefois je me reprocherais comme une injustice de ne pas appeler l’attention sur l’œuvre du jeune statuaire, car, malgré les défauts que je relève, il y a dans son Léandre plusieurs parties très dignes d’éloge. La poitrine est modelée avec finesse, et parmi les œuvres de pure imitation, cette figure occupera un rang très honorable.

J’ai reconnu avec plaisir dans le Chasseur indien surpris par un boa, de M. Ottin, l’étude et le souvenir des groupes composés par Barye pour le duc d’Orléans. Je ne veux établir aucune comparaison entre le pensionnaire de Rome et l’artiste habile à qui nous devons tant d’œuvres savantes et originales. M. Ottin, tout en profitant des modèles qu’il avait devant les yeux, a d’ailleurs gardé son indépendance. Son groupe est bien conçu, si l’on ne considère que le côté réel du sujet. Ce qui manque à cette composition, c’est la grandeur poétique, la vérité du style. M. Ottin a le goût de l’énergie et trouve souvent moyen de l’exprimer, mais il n’attache pas assez d’importance à corriger dans ce qu’il voit les détails mesquins. Il exécute adroitement les morceaux qui lui plaisent ; quant à ceux qui n’ont pas à ses yeux la même valeur, au lieu de les agrandir par le style, il se contente de les transcrire avec moins de soin. Les études qu’il a faites à Rome ne paraissent pas avoir élargi le champ de sa pensée. Il est revenu en France plus habile dans le maniement du ciseau sans avoir renoncé à l’imitation du modèle. Les enseignemens ne lui ont pas manqué. Le Vatican et le Capitole lui ont offert des œuvres nombreuses qui n’existeraient pas sans l’intervention de la pensée. Les groupes de Barye, par leur caractère poétique, se rattachent aux traditions de l’antiquité. Cependant le Chasseur indien surpris par un boa, qui rappelle par l’énergie du mouvement ces compositions aujourd’hui dispersées, n’émeut pas comme les chasses au tigre destinées à distraire l’ennui des convives du prince. Le talent de M. Ottin est un talent prosaïque. L’auteur du groupe qui nous occupe, sans le vouloir, sans le savoir peut-être, contredit chaque jour les enseignemens qu’il a reçus. Rome et Florence