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entre les deux grands partis constitutionnels, les conservateurs et les libéraux, pour que le parti appelé au gouvernement trouvât toujours en face de lui un parti prêt a le contrôler, qui le forçait, sinon à prendre l’initiative des plus importantes réformes, du moins à rendre sans cesse ses comptes au pays. À l’aide de la liberté de la presse, le parlement avait toujours donné comme une voix à l’opinion publique, et, malgré des éclipses passagères, il en avait prévenu les défaillances. Les abus mômes s’étaient transformés en garanties. Ainsi la représentation des petits bourgs qui avaient été flétris du nom de bourgs pourris avait servi à faire entrer dans le parlement les jeunes gens qui pouvaient se consacrer de bonne heure, avec le plus de succès, à la vie publique, grâce à la protection de telle ou telle grande famille intéressée à donner les meilleurs défenseurs à la cause du parti auquel elle appartenait. Telle est la voie qui s’est ouverte constamment aux plus grands orateurs, aux plus grands ministres, aux plus grands hommes d’état, et, pour n’en citer que quelques-uns, à Pitt, à Fox, à Burke, à Sheridan, à ces grands princes de la politique et de l’éloquence anglaise. « Les destinées de la Grande-Bretagne, disait avec quelque raison un des membres du parlement, dépendent beaucoup plus de ceux qui les dirigent que de telle ou telle amélioration des lois politiques. »

Cependant il ne faut pas juger des institutions par leurs accidens heureux, et, comme l’observait M. Villemain dans un de ses derniers écrits, il est dangereux de chercher toujours dans le caractère des hommes le correctif des mauvaises lois. « L’ancien système de la législation électorale de l’Angleterre était condamné par les exclusions injustes et les tolérances abusives qu’il perpétuait[1], » et les projets de réforme mis en avant dès 1750 n’auraient pas tardé à gagner peu à peu toutes les chances de succès, si le mouvement favorable de l’opinion publique n’avait été brusquement refoulé d’abord par les inquiétudes justement défiantes qu’avaient éveillées les excès et les crimes de la révolution française, plus tard par les préoccupations de guerre étrangère qui ne laissaient place qu’à l’ardeur d’une indomptable résistance. Au retour de la paix de l’Europe, la poursuite du changement depuis longtemps demandé reprit enfin son cours-, de nouvelles propositions se succédèrent sans relâche, et après avoir achevé pour ainsi dire la quarantaine qui semble imposée en Angleterre à toute innovation, la réforme électorale, devenue dans tout le pays un cri de guerre menaçant, passa, en 1831 et en 1832, par l’épreuve légale d’une dernière lutte. Ce fut une lutte solennelle et dramatique, prolongée pendant quinze mois, et dans

  1. M. Villemain, notice sur lord Grey.