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ni les tortures de l’envie, ni les souffrances de l’ambition déçue, et que tous les biens de ce monde lui ont été donnés par surcroît.

Cockburn, du reste, devait beaucoup à la nature : elle lui avait accordé deux des conditions essentielles du bonheur en ce monde, la santé et la gaieté. D’une taille un peu au-dessous de la moyenne, mais bien prise, alerte et vigoureux, il excellait dans tous les exercices du corps : il était bon nageur et patineur accompli ; il avait le goût du grand air et des longues promenades. Jusqu’aux derniers jours de sa vie, il conserva l’habitude de sortir à minuit, quelque temps qu’il fît, sans manteau et sans parapluie, pour faire un tour seul ou avec un ami, s’il s’en trouvait à qui le plaisir d’une bonne et spirituelle causerie fît braver le froid ou la pluie. Il avait une belle et intelligente figure, un front large que la calvitie agrandissait encore, des yeux grands et clairs, d’une expression habituellement un peu mélancolique, mais que le feu de la conversation ou l’énergie de l’action rendait vifs et brillans, l’ensemble des traits noble et régulier. Son heureuse physionomie, ses façons aisées et bienveillantes lui gagnaient à première vue tous les cœurs. Par ses manières, ses habitudes d’esprit, son langage, il était le modèle accompli d’un gentleman écossais de la fin du XVIIIe siècle. Comme il unissait au bon sens qui garde de heurter les usages du monde cette indépendance d’esprit, ou, si l’on veut, cette pointe d’excentricité qui empêche d’en être esclave, il était toujours mis avec la précision scrupuleuse et la recherche d’un homme bien élevé, mais sans aucun sacrifice à la mode du jour. Son chapeau attestait une parfaite indifférence pour l’état de l’atmosphère ; ses souliers, d’une forme invariable, étaient d’une taille et d’une force devenues proverbiales à Edimbourg, où tout le monde connaissait, où tout le monde aimait lord Cockburn.

Il n’était point d’homme plus populaire d’un bout de l’Ecosse à l’autre. Il avait parcouru le pays tout entier, à l’occasion des assises, comme avocat, comme solicitor-general et comme juge, accueilli et fêté partout. Nul ne résistait à sa gaieté communicative. Doué d’un cœur généreux et d’un esprit élevé, accessible aux plus nobles préoccupations, activement mêlé aux affaires, il était pourtant par-dessus tout un bon et joyeux compagnon. Ni l’âge, ni les soucis, ni le travail, n’altéraient sa bonne humeur. Partout où il allait, il avait une parole agréable pour chacun : une galanterie pour les jeunes filles, un mot aimable, parfois une gaillardise pour les matrones, une histoire des temps passés pour les jeunes gens, un bon conte pour ses amis. Aussi n’était-il pas de réunion où sa présence ne fût souhaitée, de meeting, de comice ou d’assemblée où sa venue ne fût le signal d’une bruyante et sincère ovation. Les écoliers