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comme quartier-maître des chevau-légers d’Edimbourg. Walter Scott avait ainsi à sa disposition de l’infanterie et de la cavalerie, et, comme shériff, il siégeait en outre au comité chargé de diriger l’armement des côtes. Il ne quittait pas l’un ou l’autre de ses uniformes : il commandait soir et matin l’exercice à ses cavaliers et à ses fantassins ; il buvait avec eux pour les tenir plus longtemps sous les armes ; il composait des chants patriotiques pour ranimer leur ardeur. Afin d’habituer les chevau-légers au maniement du sabre, il les faisait charger l’un après l’autre sur un potiron planté au bout d’un piquet, et qui représentait l’infanterie française. Ces cavaliers inexpérimentés pensaient beaucoup moins à atteindre le potiron qu’à ne pas se jeter par terre ; mais Walter Scott lançait son cheval à fond de train, en criant, comme s’il conduisait la charge : « Taillez-les en pièces, ces misérables, taillez-les en pièces ! » Et il appliquait de tout cœur un grand coup, que sa gaucherie naturelle faisait souvent tomber à côté, en maugréant contre un ennemi détesté.

Si les personnages les plus considérables, si un homme de génie tel que Walter Scott en étaient venus là, quels devaient être les sentimens et la conduite de la foule ! Cela tenait du délire, nous dit lord Cockburn. Fils d’un des barons de l’échiquier, neveu de lord Melville, il avait l’occasion de voir et d’entendre tous les jours dans la maison paternelle les chefs du parti tory en Écosse. Leurs prédictions sinistres, leurs déclamations furibondes, les scènes de massacre qu’ils rapportaient et qu’ils exagéraient, le glaçaient d’effroi et troublaient sa jeune imagination. Il semblait que la France vomît incessamment des légions de démons qui mettaient toute l’Europe à feu et à sang : il n’y avait plus de sécurité pour personne dans les trois royaumes, si l’on ne comprimait par tous les moyens possibles l’esprit révolutionnaire. On devine de quel œil étaient vus les hommes qui, en face de la terreur et de l’irritation universelles, avaient le courage de professer des opinions libérales et d’encourir l’accusation de jacobinisme. Toutes les portes leur étaient fermées, toutes les carrières leur étaient interdites. Au sein de la chambre des communes, le parti whig était réduit à une vingtaine de députés, groupés autour de Fox et de Sheridan ; mais il conservait du moins la liberté de la parole : impuissant à rien empêcher, il pouvait au moins protester au nom des principes ; il pouvait faire appel à l’opinion publique par la presse, par les meetings, par les réunions électorales. Rien de semblable n’était possible en Écosse : l’opposition, même la plus timorée, n’y avait aucun moyen de se faire jour. L’Écosse envoyait quarante-cinq députés au parlement. Trente étaient nommés par les comtés, c’est-à-dire par un corps électoral composé de quinze ou dix-huit cents électeurs, la plupart petits propriétaires