Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
6
REVUE DES DEUX MONDES.

de son héritage qu’avaient largement échancré les confiscations d’une part, et de l’autre cent mille écus versés par le marquis dans les caisses de l’armée catholique ; les fureurs de la guerre civile avaient à peu près dévoré le reste. Ruiné par l’incendie, le château n’offrait plus qu’un seul corps de logis qui fût habitable ; les fermes d’alentour, ouvertes à tous les vents, laissaient voir leurs foyers déserts, oïl croissaient déjà les ronces et les orties. Mlle de Penarvan s’installa fièrement dans sa pauvreté : il y a des âmes qui ne relèvent point de la fortune.

Mlle Renée de Penarvan était née à l’ombre des tours féodales, derniers vestiges de l’antique demeure des ancêtres, aux flancs de laquelle s’adossait, comme un nid contre une aire, le manoir des neveux. Orpheline de mère dès sa plus tendre enfance, elle avait grandi en pleine liberté au milieu de ses frères, qui, élevés eux-mêmes en gentilshommes campagnards, encourageaient à plaisir ses goûts aventureux et ses mâles instincts, héréditaires dans leur famille. Le marquis y prêtait la main ; il n’avait pas de plus grande joie que de courir le cerf avec sa fille, et rien n’était charmant comme les départs pour la chasse, le seigneur breton entouré de ses quatre fils, la jeune amazone en tête, tous à cheval, et s’enfonçant, au bruit des fanfares, dans la profondeur des bois. Cette éducation toute virile avait développé chez Mlle Renée plus de force que de grâce, plus d’énergie que de tendresse. À dix-huit ans, on eût dit une héroïne des temps chevaleresques. L’abbé Pyrmil, qui possédait à fond son histoire de Bretagne, et avait la manie d’en mettre un peu partout, la comparait à Jeanne de Penthièvre et plus volontiers à la comtesse de Montfort. Elle était belle, mais, quoique blonde et blanche, d’une beauté moins faite pour inspirer l’amour que le respect. Ses cheveux, d’une rare magnificence, couronnaient un front droit et ferme. Le nez était aquilin et fier, le regard impérieux et hautain, la bouche facilement dédaigneuse. Sans manquer d’élégance, sa taille n’avait rien des formes éthérées que les poètes poursuivent dans leurs rêves ; Mlle Renée eût porté sans fléchir l’armure des guerrières auxquelles l’abbé Pyrmil se plaisait à la comparer. L’orgueil de race, le plus légitime de tous après celui qu’on tire de son propre mérite, se trahissait dans ses gestes et dans son maintien. Cet orgueil, qui devait être l’unique passion de sa jeunesse et le supplice du reste de sa vie, l’avait prise presqu’au berceau. Son imagination s’était nourrie de bonne heure des chroniques de sa maison ; grâce aux leçons de l’abbé Pyrmil, le culte des aïeux devint chez elle une sorte d’idolâtrie.

L’abbé Pyrmil était un pauvre abbé qui devait tout aux Penarvan, chez qui son père avait été fermier. En sortant du séminaire, il était