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« — Réellement vous devriez faire un effort. Si vous étiez disposé à apprendre, je m’empresserais de vous aider. Vous vaudriez bien mieux si vous saviez lire.

« — Comment cela, frère ?

« — Vous pourriez lire les Écritures, et apprendre ainsi à connaître vos devoirs envers vos semblables.

« — Nous les connaissons déjà, frère ; les constables et les juges ont réussi à nous infuser déjà une bonne partie de cette science.

« — Cependant vous violez souvent la loi.

« — Ainsi font, je pense, de temps à autre ceux qui ont appris à lire, frère.

« — Très vrai, Gaspard ; mais vous devriez réellement apprendre à lire, car, ainsi faisant, vous apprendriez aussi vos devoirs envers vous-même, et votre principal devoir est de veiller sur votre âme. Le prédicateur n’a-t-il pas dit : « Quand un homme aurait gagné le monde entier, en serait-il plus riche ? »

« — Nous n’avons pas grand’chose des richesses de ce monde, frère.

« — Très peu de chose, c’est vrai, Gaspard. Maintenant avez-vous observé comme les yeux de toute la congrégation se sont dirigés vers votre banc lorsque le prédicateur a dit : « Il y a des gens qui perdent leur âme et qui ne gagnent rien en échange, qui sont proscrits, méprisés, misérables. » Ces paroles n’étaient-elles pas tout à fait applicables aux gypsies ?

« — Nous ne sommes pas misérables, frère !

« — Cependant il me semble que vous devriez vous estimer tels, Gaspard ; avez-vous un pouce de terre qui soit à vous ? êtes-vous utiles à quelqu’un ? Tout le monde parle mal de vous. Qu’est-ce qu’un gypsy ?

« — Quel est l’oiseau qui fait tapage là-bas, frère ?

« — L’oiseau ! eh ! c’est le coucou qui bavarde ; mais qu’est-ce que le coucou peut avoir à faire en tout ceci ?

« — Nous allons voir, frère. Qu’est-ce que le coucou ?

« — Ce que c’est ? Vous le savez aussi bien que moi, Gaspard.

« — N’est-ce pas un oiseau tout à fait polisson et impertinent, frère ?

« — Je le regarde comme tel, Gaspard.

« — Personne ne sait d’où il vient, frère ?

« — D’accord, Gaspard.

« — Il est très pauvre, frère, il n’a pas même un nid à lui…

« — C’est ce qu’on dit, Gaspard.

« — Tout le monde médit de lui, frère ?

« — Oui, Gaspard, tout le monde l’insulte.

« — Et néanmoins il est passablement gai, frère ?

« — Oui, passablement gai, Gaspard.

« — Il n’est d’aucune utilité, frère ?

« — D’aucune exactement.

« — Ainsi vous seriez bien aise d’être délivré des coucous, frère ?

« — Mais non pas précisément, Gaspard ; le coucou est un oiseau facétieux, sa présence et sa voix donnent un grand charme au paysage. Je ne puis pas dire que je voudrais voir la terre débarrassée du coucou.

« — Eh bien ! frère, qu’est-ce qu’un garçon romany ?