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Fils d’un pauvre ecclésiastique, admis, on ignore comment, parmi les commoners de l’université d’Oxford, attiré par une méprise bien naturelle vers le métier de comédien, que lui avait fait embrasser sa passion pour le théâtre, acteur médiocre et malheureux, puis soldat sanss vocation, et enfin de hasard en hasard, de misères en misères, ramené à sa véritable destinée, qui était d’obéir à sa muse, quitte à mourir de faim, Thomas Otway est une de ces figures mélancoliques qu’on retrouvé çà et là, étalant leurs haillons au grand soleil de la gloire. La postérité, que le souvenir de leurs malheurs n’apitoie pas toujours, leur fait expier, à de rares exceptions près, par d’amères insultes, le souvenir importun qu’elle est contrainte de leur garder. Homère, le vagabond Homère, l’a désarmée, mais Savage, mais Chatterton, — et combien d’autres encore ! — subissent chaque jour sous nos yeux la rude peine d’une pauvreté mal endurée. Quant à Otway, voici ce que l’autre jour un critique anonyme disait de lui, non sans équité ; non sans rigueur :


« L’auteur de Venise sauvée est littéralement mort de faim, ceci parait prouvé. Toutefois, avant de s’attendrir sur son infortune, rappelons-nous que cette tragédie fut dédiée à la duchesse de Portsmouth (Louise de Quérouailles). Rappelons-nous comment y est qualifiée cette maîtresse de Charles II. Otway l’appelle « la pieuse mère d’un prince en qui revivent les vertus de la race d’où il est sorti. » Admettons qu’il ait ensuite manqué de pain, nous n’en saurions pas moins quelque gré à la patronne par lui choisie d’avoir répondu par le mépris, qui en devait être la récompense, à une si basse adulation. »


Lisez maintenant la préface du Don Carlos d’Otway (1676). L’auteur y reconnaît expressément que le succès de cette tragédie est dû en grande partie aux bons offices de Rochester et « à ses généreuses recommandations, soit auprès du roi, soit auprès du duc (d’York). » Immédiatement après cet humble aveu, le poète se redresse, et sans nommer Dryden s’épuise contre lui en ridicules bravades. Ainsi avaient fait tour à tour, — inspiration malheureuse, expérience perdue, — et « le grand Elkanah » et « Crowne l’empesé[1]. » Obéissaient-ils tout simplement en ceci à leurs mauvais instincts de rivalité pédante ? ou bien avaient-ils, reçu cette consigne de leur patron ? , ou bien encore espéraient-ils, par cette lâche complaisance, mériter que sa toute-puissante faveur leur demeurât fidèle ? Nous ne nous chargeons pas de résoudre cette question. Constatons seulement qu’Otway ne se borna point à insulter Dryden. Dans la même préface, il provoqua nettement, à ne s’y pas méprendre, le malheureux Elkanah Settle, qui ne jugea pas convenable de commettre

  1. Starch-Crowne, — sobriquet donné à Crowne, et qu’il devait, paraît-il, à ses cravates d’une hauteur démesurée.