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de toute autre personne. « Nous citons ici à dessein les termes mêmes des statuts portés contre la liberté de la presse par le parlement-convention dès les premières années de la restauration des Stuarts. En réalité, ces lois protégeaient, contre une publicité qui les eut rendus impossibles, les désordres du roi, les scandales de la cour, la corruption des hommes d’état, et l’impudence opulente des courtisanes titrées.

En présence de pareils abus, et sous la menace du pilori, de la prison, de la mort même, il ne restait qu’une voie ouverte aux protestations de la conscience outragée, de l’honnêteté bravée en face : la triste voie du pamphlet, du libelle anonyme, qui, rarement imprimé, le plus souvent sous sa forme originelle, manuscrit circulant de toutes parts, donnait à la colère, à l’indignation de tous son expression la plus directe, la plus énergique. Et par qui fut inauguré ce genre d’attaques, le plus perfide et à la longue le plus dangereux qu’on ait jamais trouvé ? Par les hommes du pouvoir lui-même. Leurs rivalités, leurs intrigues rompirent bientôt le lien formé par la solidarité politique. Parfois même ils obéirent, il faut le croire, aux révoltes de leur bon sens, aux inspirations de leur conscience alarmée. Et tandis que les austères puritains gardaient à part eux, amassaient, dans un silence forcé, les trésors de leurs amers ressentimens, tandis qu’ils attendaient, immobiles et muets, l’heure des rétributions vengeresses, ce furent des courtisans, moins respectueux pour un pouvoir dont ils connaissaient les défaillances intérieures, mieux protégés aussi contre les rigueurs de leur indolent souverain, qui s’emparèrent du droit de censure, et ajoutèrent aux privilèges du rang et de la richesse ce monopole attrayant de la liberté d’écrire, de la vérité sans fard, des attaques sans merci.

Malheureusement, au lieu de Juvénal et de Perse, il ne se trouva parmi eux que des satiriques d’un ordre inférieur. Rochester, le premier de tous, — bien supérieur à Buckhurst et à Savile, — n’arrive pas plus haut que Pétrone. Et qu’on ne nous suppose pas l’intention d’abuser du parallèle. Charles II n’est pas plus Néron que Buckingham n’est Tigellin, que Rochester n’est Pétrone. Cependant, à quelques nuances près, nous reconnaîtrons ces deux derniers comme des esprits de la même famille, des révélateurs du même ordre. Leurs deux noms, méprisés de même, le sont en vertu de cette disposition spéciale de l’esprit humain qui lui fait repousser et la lumière trop vive, et la vérité trop nue, disposition qui semble, de nos jours, en voie de progrès plutôt que de décroissance. Sachons pourtant nous en rendre, compte : peut-être y a-t-il plus de moralité qu’on ne veut bien l’admettre dans ces brutalités vengeresses auxquelles s’aventurent, en leurs momens de dégoût, les rassasiés d’un certain ordre. Et s’il