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« Quand la compagnie dut marcher, on mit en question si Sven Dufva était assez savant pour qu’on le prît avec soi. Il les laissa parler, mais à part lui, en silence, il avait ainsi résolu la chose : « Si on ne me laisse pas aller avec les autres, eh bien ! j’irai tout seul. »

« On lui laissa comme aux autres le sac et le fusil ; valet dans les haltes et soldat aux mêlées, on le vit s’acquitter avec le même sérieux du service et de la bataille, et si quelquefois on le traitait la d’imbécile, jamais ici on ne l’appela peureux ni lâche.

« Sandels opérait sa retraite, et le Russe pressait. On se retirait pas à pas le long d’une rivière. Un peu en avant, sur le chemin de l’armée finlandaise, il y avait un pont étroit, gardé par un avant-poste, vingt hommes à peine.

« Ils avaient été envoyés seulement pour assurer le chemin. Comme la route était libre, ils se reposaient, loin du danger, dans une cabane de paysan où ils prenaient leurs aises, se faisant servir par Sven Dufva, qui était avec eux.

« Mais tout à coup ils voient arriver à toute bride, sur un cheval qui écume, l’aide de camp de Sandels : Aux armes ! s’écrie-t-il. Pour l’amour de Dieu, courez au pont ! Nous venons d’apprendre qu’une troupe ennemie veut passer la rivière.

« Il faut rompre le pont, si vous le pouvez. Sinon, battez-vous et résistez jusqu’au dernier. L’armée est perdue si l’ennemi passe et nous prend en flanc de la sorte. Vous aurez du secours. Le général lui-même sera ici dans un instant, soyez-en sûrs. »

« Et il tourna bride. À peine la petite troupe est-elle descendue jusqu’au pont, qu’on voit paraître sur l’autre rive un peloton russe. Il se déploie, prend ses positions ; une décharge, et voilà huit Finlandais à terre !

« Il ne faisait pas bon rester là ; nos hommes balancent. Encore une décharge, et il n’y a plus que cinq camarades debout. « Sauve qui peut ! » crie le caporal. Tous obéissent, — excepté Sven Dufva, qui, se trompant cette fois encore, croise la baïonnette.

« On a commandé demi-tour à gauche pour battre en retraite. Lui, il fait demi-tour à droite, et puis en avant, et le voilà au milieu du pont. Debout et ferme, avec ses larges épaules et son calme ordinaire, le voilà prêt à montrer à qui que ce soit ce qu’il sait le mieux dans l’école du peloton.

« Il eut promptement l’occasion de le faire voir. Déjà la tête du pont était couverte d’ennemis. Ils accouraient, homme par homme ; mais à chacun Sven Dufva donnait un coup à droite ou à gauche, de sorte qu’il les arrêtait en travers.

« Renverser ce géant était au-dessus des forces d’un seul homme, et toujours son plus proche ennemi lui était un rempart contre les coups du suivant. Cependant l’ennemi devenait d’autant plus acharné que son espoir était déçu, quand parut Sandels avec sa troupe, et il vit du haut du chemin comment Sven Dufva combattait.

« Bien ! bien ! cria-t-il. Tiens encore, mon brave garçon, ne laisse passer aucun de ces démons-là, tiens encore une seconde… Voilà ce qui s’appelle un soldat ! Voilà comment doit se battre un Finlandais ! En avant, mes amis ! A son secours ! Celui-là nous a tous sauvés ! »

« En peu d’instans, l’ennemi vit son attaque déçue. Il battit en retraite et