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et de prétendre la suivre ; quelque étrange que cela paraisse, il faut que cette politique soit du goût de son ministre à Constantinople. Ce gouvernement si puissant est souvent en réalité tenu en échec par un homme d’humeur indépendante et hautaine. Or dans la circonstance actuelle lord Stratford de Redcliffe s’était trop violemment engagé pour n’être pas cruellement froissé dans son orgueil et dans ses habitudes de prépotence. Il s’est d’abord retranché à son tour dans l’inertie, et lorsque le gouvernement turc ne pouvait plus douter des résultats de l’entrevue d’Osborne, l’ambassadeur anglais seul n’avait rien à dire ; puis enfin, quand lord Stratford a été pressé de s’expliquer, il a communiqué purement et simplement ses instructions sans les appuyer, mais cette fois, il est vrai, sans les contrarier comme à l’époque du conflit entre la Turquie et la Russie. L’internonce d’Autriche, M. de Prokesch, qui n’était pas moins engagé, n’a pas suivi un système très différent. Les deux anciens, conseillers de Rechid-Pacha ont cédé au dernier moment avec humeur, faisant une retraite contrainte qui ressemble étrangement à une déroute. Les annales diplomatiques comptent, peu d’épisodes semblables, ainsi que le disait récemment un journal anglais. Certainement la Grande-Bretagne sait la première comment elle doit être représentée à Constantinople ; seulement on peut se demander si les relations des puissances sont bien en sûreté quand elles sont placées en de telles mains et à la merci des caprices passionnés d’un homme qui peut à tout instant compromettre son gouvernement aussi bien que l’état auprès duquel il est accrédité. Ce qui est certain, c’est que la présence de lord Stratford de Redcliffe à Constantinople est devenue singulièrement difficile, et elle est difficile pour l’ambassadeur anglais lui-même autant que pour la Turquie.

Ce qui n’est pas moins clair après les derniers incidens, c’est que de toute façon il serait étrange à coup sûr de voir M. Vogoridès continuer à exercer le pouvoir à Jassy. Les quatre puissances qui se sont vues un moment réduites à la triste extrémité de rompre leurs relations avec la Porte n’ont nullement réclamé la révocation du caïmacan moldave. Elles n’ont demandé cette révocation ni avant ni après, désavouant toute pensée d’intervenir dans les affaires intérieures de la Turquie et se bornant strictement à exiger l’exécution d’engagemens diplomatiques. Il y a cependant un fait bien simple. Voici un homme notoirement convaincu d’avoir fabriqué des listes électorales, de s’être mis au-dessus de toutes les lois et de toutes les instructions qu’il recevait de son gouvernement même, d’avoir tout mis en œuvre, en un mot, pour fausser les élections ; cette falsification n’est point une conjecture, elle est reconnue par toutes les puissances, elle est désormais attestée comme un fait par l’annulation même des élections de la Moldavie. N’y aurait-il pas une anomalie étrange à laisser un scrutin s’ouvrir sous les mêmes auspices, à quelques jours, d’intervalle ? En, laissant M. Vogoridès à la tête de la Moldavie, la Turquie ne fait nullement acte d’indépendance et de dignité ; elle semble couvrir encore d’une façon indirecte des fraudes et des menées contre lesquelles elle est obligée d’exercer publiquement des sévérités. Il serait trop facile de dire qu’elle, se console du désagrément de ses résolutions contradictoires en conservant le même agent pour arriver au même résultat. Ce n’est point ainsi assurément que la Turquie, peut atteindre