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Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/257

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fondamentale de M. Ernest Renan. Avant de lui soumettre mes objections, je veux entrer dans le détail de son système. Quand on a affaire à un esprit si précis et si net, les généralités ne suffisent pas. M. Renan s’est occupé dans son livre des religions de l’antiquité, de l’histoire du peuple d’Israël, des historiens critiques de Jésus-Christ, des origines de l’islamisme, du génie de Calvin, de l’unitarisme prêché aux États-Unis par Channing, enfin de M. Feuerbach et de la nouvelle école hégélienne. Il y a ici trois grands sujets qui dominent tous les autres : l’histoire des religions antiques, — l’histoire des Juifs, — l’histoire du Christ. Je le suivrai dans ces divers domaines, signalant sans passion ce qui me paraît la vérité ou l’erreur, marquant du moins mes dissentimens et indiquant les lacunes.

S’il est un point de l’histoire religieuse où les doctrines de M. Renan paraissent manifestement applicables, c’est l’histoire religieuse de l’antiquité. La grande philologie de nos jours, je veux dire la philologie éclairée par la philosophie et l’histoire, et qui à son tour éclaire et complète ces deux sciences, a retrouvé le sens de ces primitifs symboles, perdu depuis tant de milliers d’années. On l’a dit avec raison, nous connaissons l’antiquité mieux que l’antiquité ne s’est connue elle-même. Ici encore c’est l’Allemagne qui est l’initiatrice. Depuis que Heyne a ouvert des voies nouvelles à la philologie, depuis que son ami Herder a éveillé chez les Allemands le goût des choses primitives, combien de travaux ont paru qui ont éclairé pour nous les secrets les plus délicats de la vie religieuse et morale des Hellènes ! M. Renan expose avec une clarté parfaite ces laborieux efforts de l’Allemagne : il glorifie la grande manière philosophique et poétique de Frédéric Creuzer ; il apprécie en maître le monument élevé par l’illustre savant à l’entrée d’une route qu’il a ouverte et qu’il ne devait pas parcourir tout entière. L’inspiration de M. Creuzer est profonde, son explication du paganisme est un hommage rendu à l’humanité tout entière ; mais la Symbolique est un ouvrage confus. Le savant, enivré de son système, ne tient pas assez compte de la transformation des âges ; il assimile les commencemens et les dernières périodes de l’hellénisme. En un mot, comme tous les systèmes qui se recommandent par l’abondance et l’élévation des idées plutôt que par la précision des détails, le système de M. Creuzer devait provoquer des contradictions ardentes. Deux écoles surtout l’ont combattu : l’école de M. Lobeck, qui nie absolument l’inspiration religieuse des dogmes païens ; l’école de M. Ottfried Müller, qui, admettant cette inspiration, la revendique pour la Grèce et ne veut pas que le génie hellénique doive rien à l’Orient. Les idées de M. Lobeck sont à peu près abandonnées aujourd’hui ; les héritiers d’Ottfried Müller sont nombreux et puissans. La France aussi a pris part au débat. Le savant traducteur de la Symbolique,