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Ainsi finirent les sociétés antiques, pour avoir fait trop bon marché de la dignité humaine et laissé peser sur les existences la main et la tutelle de l’état. Tout ce qu’il y avait dans les populations de volonté virile et d’instinct industrieux s’éteignit graduellement devant ces habitudes de servilité et d’oisiveté. Les âmes ne se relevèrent que sous l’influence des idées chrétiennes ; le réveil de la foi fut le réveil de l’activité personnelle. Alors l’assistance changea de caractère et de nom ; elle cessa d’être cette manne qui tombait d’en haut, aveuglément et indistinctement, pour corrompre et énerver ceux qui en vivaient ; elle devint une vertu et un devoir privés ; elle s’appela la charité et eut pour forme l’aumône. Rien de plus touchant, surtout au début. On voit alors, on sent l’influence de l’église et, comme l’a dit éloquemment M. Villemain, « celle des grands exemples et des leçons sublimes dont elle étonna le monde par les Ambroise et les Chrysostome[1]. » Ce qu’il y a de vraiment divin dans cette nouvelle manière de comprendre et de pratiquer l’assistance, c’est que l’obligé et celui qui oblige gardent le même rang, et que le secours n’entraîne pas la dépendance. Les riches se doivent aux pauvres, les valides aux infirmes, les grands aux petits. Le soulagement de la misère est l’œuvre de tous, l’attribut de tous ; personne n’en est chargé par préférence, pas plus l’état qu’un corps dans l’état. Il se forme entre les membres de la famille terrestre un lien mystique qui les rend solidaires les uns des autres, les unit étroitement, et dont le dernier chaînon remonte jusqu’au ciel. Et quel souci de la dignité de l’homme dans l’exercice de cette charité ! Les besoins n’ont plus à se produire ; il est ordonné de les prévenir. La responsabilité se déplace ; s’il y a des souffrances cachées, il faut les découvrir et ménager cette pudeur qui est la dernière noblesse de l’indigence. Pour un chrétien, c’est de l’obligation la plus stricte, comme le silence dans le bienfait. S’il y a quelque récompense à en attendre, ce n’est pas ici-bas ; de pareils comptes se règlent ailleurs. L’acte perd de son prix au moindre mélange d’ambition ou de vanité.

Telle est la charité selon l’Évangile, et à la définir on comprend quel fut son empire dans les consciences. Jamais plus bel élan ne frappa et n’étonna le monde, et il ne fallait pas moins pour suffire aux besoins que créait le dogme nouveau. En affranchissant les esclaves, le christianisme avait pris à sa charge le soin de les nourrir. Il est vrai que le travail affranchi lui prêtait la fécondité de ses ressources ; mais que de douleurs, que de misères accompagnèrent les premières périodes de cette transition, aggravées par les guerres,

  1. Rapport du secrétaire perpétuel de l’Académie française sur les concours de 1857, où le livre de M. Alexandre Monnier a obtenu une médaille de premier ordre.