Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 11.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désintéressement, comme le Rhône, où la proportion des dépenses est d’un dix-neuvième, et la Vienne, où elle est d’un quarante-quatrième.

Je m’arrête à ce symptôme : il est de ceux qui donnent à réfléchir aux hommes de bonne foi. La spéculation n’épargne plus rien, même ce qui devrait y rester étranger, l’œuvre de l’assistance. Sur des sommes destinées aux indigens, les personnes interposées s’attribuent d’abord le tiers de la recette : c’est ce qu’on appelle organiser, administrer, ne disputons pas sur les mots. Si on examinait une à une les institutions charitables qui ont le sceau officiel, on y retrouverait le même abus, souvent à un degré plus grand. À peine sont-elles fondées, que des existences parasites s’y attachent, et qu’une ou plusieurs industries s’y greffent impunément. J’en pourrais citer beaucoup d’exemples ; un seul me suffira, et je le relève dans un très bon ouvrage, celui de M. Blaize sur les monts-de-piété. Aucun écrivain n’était plus autorisé à en parler : M. Blaize a dirigé en 1848 le mont-de-piété de Paris. Il y apportait le goût du bien public et un vif esprit de réforme. L’une de celles qu’il poursuivit, avec le plus de fermeté, ce fut la suppression de ces commissionnaires qui se substituent à l’établissement principal pour aggraver à leur profit les conditions du prêt et envelopper de plus de ténèbres l’origine des dépôts. Rien de plus moral ni de plus juste qu’un pareil dessein. Comme toutes les usurpations, celle-ci avait grandi dans la tolérance et dans l’impunité. Ce qui n’était au début qu’une faveur révocable était devenu, le temps aidant, un véritable privilège, une sorte d’office qui se transmettait comme ceux des notaires, des agens de change et des avoués. L’empiétement était flagrant, M. Blaize lutta de son mieux pour le faire cesser ; mais il y a dans le privilège un tel ressort, que celui-ci trouva le moyen de survivre à une révolution qui avait emporté un trône. Voilà ce que c’est qu’un abus, et quelles racines il pousse dans un pays où, au lieu de maintenir l’indépendance des intérêts, on a la triste et coûteuse prétention de les organiser à tout propos et hors de propos.

Ce qui s’est passé dans un royaume voisin devrait pourtant servir de leçon aux gouvernemens qui, en matière d’assistance publique, poussent trop loin les procédés d’ingérence et d’empiétement. S’il est une vertu qui doive redouter le bruit et fuir le scandale, c’est la charité, et pourtant les choses ont été conduites en Belgique de telle sorte qu’une loi sur les fondations charitables a placé naguère ce petit état sous le coup d’une crise des plus graves. Les deux partis se balançaient pour le nombre et apportaient dans la lutte une égale ardeur ; c’était une question de drapeau plutôt qu’une question de doctrine. En lui-même, le différend ne semblait pas de nature à soulever une pareille tempête ; il s’agissait de savoir quelle latitude